Jusqu'au 20 août, l'Université Laval reçoit le 9e Congrès international d'épidémiologie. Un grand brassage de connaissances sur la COVID-19, mais aussi sur le cancer, la santé au travail, la santé mentale et le lien inextricable entre la santé humaine, animale et environnementale. «L'épidémiologie, c'est vraiment les yeux, les oreilles, les outils diagnostiques des médecins qui œuvrent en santé publique. C'est la seule façon de pouvoir saisir, percevoir ce qui se passe dans la santé de la population», décrit le Dr Yv Bonnier Viger, en parlant d'un domaine en pleine ébullition.
Derrière nos masques, entrevue avec le coprésident du Congrès, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive, épidémiologiste, directeur régional de santé publique de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et professeur agrégé à la Faculté de médecine.
Quelque 350 personnes en provenance de 24 pays participent en présentiel ou en ligne à l'événement. Quelle est l'importance de ce congrès mondial pour la communauté québécoise?
Il y a deux types d'épidémiologistes, ceux qui font du terrain et ceux qui font de la recherche ou de la méthodologie. Les deux sont réunis au Congrès par l'Association pour le développement de l'épidémiologie de terrain et l'Association des épidémiologistes de langue française. Ce sont des associations francophones internationales et la langue est porteuse d'une vision du monde. C'est intéressant d'échanger entre collègues qui parlent la même langue, mais qui en même temps ont des cultures différentes parce qu'on vient d'Afrique, d'Europe ou d'Amérique du Nord. C'est comme ça que se construit la science, en partageant les expériences, les avancées dans les connaissances des uns et des autres, en les confrontant.
Le fait que le Congrès se tienne pour la première fois en Amérique du Nord permet aussi une plus grande participation de Québécois et d'autres collègues francophones du reste du Canada. Probablement que la moitié des présentateurs et des conférenciers vient du Québec, une grande partie de l'Université Laval, mais aussi de l'Université de Montréal et de l'Université McGill.
La population en général est-elle plus sensibilisée à cette discipline médicale depuis la pandémie?
L'épidémiologie est moins connue que la santé publique, c'est encore plus spécialisé. Mais, effectivement, à travers le phénomène de la COVID-19, les gens y ont été initiés, ils ont entendu parler d'épidémiologistes qui faisaient des modélisations pour savoir où l'épidémie pouvait aller, des épidémiologistes qui faisaient de la surveillance pour pouvoir décrire en temps réel autant que possible comment la pandémie évoluait, puis d'autres épidémiologistes qui se sont penchés sur les causes comme telles de ce qui arrivait, puis sur l'origine de ces virus.
Le 20 août, vous participez à une rencontre sur la place de l'épidémiologie d'intervention et le renforcement des systèmes face aux menaces émergentes. Que pouvez-vous nous en dire?
Avec mon collègue Joseph Catraye, qui sera présent, on a travaillé ensemble en 1971 à créer ce qu'on appelait le projet d'appui à la surveillance épidémiologique en Afrique de l'Ouest. L'idée était de sortir des cadres universitaires, puis d'amener l'épidémiologie sur le terrain pour que les médecins et les soignants soient en mesure de collecter des informations, de les analyser, puis de voir ce qui se passe, donc d'appréhender ce qui va venir, puis d'être capable de faire les meilleures interventions. On a amené l'informatique, puis on a formé des infirmiers et des infirmières à comprendre les principes épidémiologiques et à utiliser l'informatique. Un projet toujours en cours, qui a couvert beaucoup plus de pays d'Afrique.
Ma participation à la rencontre sera de donner en contraste les difficultés ou les avantages que l'on a ici, dans notre domaine de surveillance, dans le contexte de la COVID-19 dans une petite région comme celle de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Le Québec a choisi de centraliser les données, alors le problème est notre accès à ces données. Souvent, il n'est pas aussi en temps réel que si l'on avait notre propre équipe sur le terrain. Par contre, l'avantage, c'est qu'il y a une uniformité dans les données recueillies d'une région à l'autre, donc les comparaisons sont plus faciles.
Au Québec, sommes-nous mieux préparés pour l'avenir?
Je pense qu'on peut être optimiste. On a réalisé très rapidement que nos systèmes d'information étaient mal intégrés. Quand on a commencé, on recevait toute l'information par fax, on partait de loin. Il a fallu improviser des systèmes d'information en cours de pandémie avec ce qu'on appelait la trajectoire en santé publique. Le fait d'être obligé d'inventer en même temps qu'on travaillait était assez fastidieux et frustrant, parce que les choses ne fonctionnaient pas toujours de façon efficace. C'est l'une des grandes leçons qu'on doit se donner. On rechigne souvent à investir dans l'information, alors qu'en réalité, c'est vraiment le nerf de la guerre.
On s'est aussi aperçu avec le variant Omicron qu'on a été rapidement dépassés, même dans les capacités de nos laboratoires. C'est une réflexion qu'on a à faire parce que les tests rapides restent tellement imparfaits qu'ils ne nous donnent pas une véritable idée, on ne peut pas trop s'y fier. Donc, depuis janvier 2022, on est un peu dans la brume par rapport au nombre de cas.
Un atelier précongrès portait sur les événements climatiques extrêmes et les éclosions de maladies infectieuses. Comment tous ces changements vont-ils affecter notre santé?
Les changements climatiques amènent tellement de perturbations que ça va être une crise probablement beaucoup plus profonde et qui va modifier beaucoup plus la vie des gens que ce qu'on a connu avec la COVID-19. L'information qu'on devra recueillir à tous les niveaux est tellement importante que l'épidémiologie va jouer un rôle majeur.
À l'intérieur de toute cette mouvance, on réfléchit plus à «une» santé, c'est-à-dire la santé animale, la santé humaine et la santé de l'environnement, donc l'intégration de tout ça, parce qu'elles ont un lien les unes avec les autres.
On le voit concrètement, la population humaine est en train d'envahir tous les territoires de la Terre, donc on déplace les territoires des animaux, on déplace les virus, les bactéries, les parasites et notre santé en est affectée. Des virus qui infectaient uniquement des animaux pendant un certain temps vont commencer aussi à infecter des humains.
On prétend que, dans le pergélisol, il y a plusieurs virus en dormance, puis au fur et à mesure que ça fond, ça les libère. Les mouvements ne sont pas juste terrestres ou aériens, il y en a aussi au niveau des mers. La température qui change affecte l'habitat des animaux marins qui transportent évidemment des virus, des bactéries et des parasites.
Qu'avez-vous envie de dire aux étudiants qui s'intéressent particulièrement à l'épidémiologie?
Un, qu'ils ne manqueront pas d'ouvrage. Deux, qu'il va falloir beaucoup d'imagination, puis de persévérance. Au fur et à mesure que les changements se développent, ça va devenir plus complexe et demander d'intégrer davantage d'information, donc d'être capable de traiter des données massives.