
Manifestation vers 1969-1970
— Fonds Antoine Desilets, BAnQ-Montréal
La révocation du droit à l'avortement par la Cour suprême des États-Unis est un triste rappel que rien n'est jamais acquis. Cette situation rappelle d'une certaine manière les luttes féministes qui ont eu lieu de ce côté-ci de la frontière dans les années 1970 et 1980. À l'époque, de nombreux groupes ont vu le jour pour défendre ce droit, que l'on pense au Front commun pour l'abrogation des lois sur l'avortement, au Comité de défense du docteur Morgentaler ou encore à la Coalition québécoise pour le droit à l'avortement libre et gratuit.
Même si le thème demeure on ne peut plus d'actualité, très peu d'historiens se sont intéressés à la question. Voilà ce qui a incité Marie-Laurence Raby à se pencher sur la mobilisation féministe autour de l'avortement au Québec pour son mémoire de maîtrise. «Beaucoup d'archives sont disponibles sur les organisations féministes, mais très peu d'écrits ont été faits sur l'avortement. La particularité de ce sujet est que certaines actions qui ont été entreprises par ces groupes étaient illégales par moments, ce qui fait qu'il y a plusieurs zones d'ombre dans l'histoire», dit celle qui a mené des entrevues auprès de six anciennes militantes, en plus de creuser divers fonds d'archives.
Le 10 août, au Musée de la civilisation, l'étudiante offrira un survol de ses résultats de recherche. Sa conférence, gratuite et ouverte à tous, sera présentée dans le cadre des Rendez-vous d'histoire de Québec.

Un combat de longue haleine
Pour aborder l'histoire de l'avortement au Québec, il faut remonter à 1969. Cette année-là, une modification au Code criminel permet les avortements thérapeutiques dans les hôpitaux agréés. Dans les faits, les femmes qui décident de recourir à ces services se heurtent à de nombreux obstacles: préjugés, intransigeance et jugement des médecins, problèmes d'accessibilité, etc. Les hôpitaux franco-catholiques sont particulièrement réfractaires à l'établissement de services d'interruption de grossesse.
Dans ce contexte, des réseaux d'avortement illégaux voient le jour. Figure de proue du débat public sur l'avortement, le Dr Henry Morgentaler offre ses services dans sa clinique privée de Montréal, ce qui lui vaudra d'être poursuivi et de porter sa cause devant les tribunaux à plusieurs reprises.
En 1976, l'arrêt des poursuites contre le Dr Morgentaler crée une jurisprudence favorable à la pratique d'avortements en dehors des centres hospitaliers. À partir de cette date, les gouvernements successifs tolèrent les avortements dans des cliniques privées, étant donné le flou juridique qui entoure désormais la pratique. Il faudra attendre en 1988 pour voir l'avortement au Canada être finalement décriminalisé.
Entretemps, des groupes féministes organisent des voyages hors du Québec pour offrir la possibilité aux femmes d'avorter. «Entre 1973 et 1976, rappelle Marie-Laurence Raby, on note une recrudescence de femmes qui devaient aller aux États-Unis pour se faire avorter. Durant ces trois années-là, le gouvernement du Québec était très répressif sur les avortements illégaux, ce qui fait que les réseaux féministes se sont tournés vers les États-Unis.»
Ironie de l'histoire: depuis la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit à l'avortement, des cliniques d'avortement au Québec se préparent à accueillir des Américaines.
Ce phénomène démontre que «l'avortement est un enjeu transnational, ajoute la chercheuse. De telles stratégies de voyage pour des avortements n'ont pas lieu qu'entre le Québec et les États-Unis; plusieurs cas sont répertoriés en Europe, tout comme plusieurs Américaines vivant sur la côte Ouest sont allées au Mexique à une certaine époque. À travers le monde, beaucoup d'organismes et de groupes féministes agissent de manière transnationale pour fournir des espaces sécuritaires pour offrir des avortements.»
Avec sa conférence aux Rendez-vous d'histoire, Marie-Laurence Raby veut mettre en lumière la force de ces réseaux. «De 1969 à la décriminalisation en 1988, l'histoire de l'avortement au Québec montre que les femmes s'organisent, se mobilisent et sont déterminées à disposer de leurs corps. Que ce soit dans un contexte d'illégalité ou non, l'avortement va toujours avoir lieu.»
Des recherches qui se poursuivent
Avec sa thèse de doctorat, l'étudiante creusera un autre aspect de l'histoire du féminisme au Québec: «Je vais me concentrer sur les mouvements d'auto-santé féministes, soit les critiques de l'organisation de la santé et les pratiques qui sont mises en place pour répondre à ces critiques», explique-t-elle.