Le gouvernement fédéral s'est engagé à planter 2 milliards d'arbres d'ici 2030 afin de réduire la quantité de CO2 atmosphérique et de ralentir le réchauffement climatique. Dans cette perspective, l'idée d'utiliser des terres agricoles abandonnées pour planter une partie de ces arbres semble une stratégie aussi évidente qu'intéressante, mais des travaux menés par une équipe de recherche québécoise montrent qu'il faut se méfier des évidences. En effet, une étude publiée par cette équipe dans la revue Plant and Soil révèle que les terres en friche, sur lesquelles la succession végétale naturelle a cours, peuvent capter autant de carbone que les terres reboisées avec des épinettes blanches.
Mélina Thibault et Évelyne Thiffault, du Département des sciences du bois et de la forêt et du Centre de recherche sur les matériaux renouvelables de l'Université Laval, Yves Bergeron, de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et de l'Université du Québec à Montréal, et Rock Ouimet et Sylvie Tremblay, du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs, en ont fait la démonstration en étudiant 49 anciennes terres agricoles d'Abitibi délaissées pour des périodes allant de quelques années à cinq décennies...
Les chercheurs ont mesuré la quantité de carbone fixée dans les plantes et dans le sol de ces terres abandonnées lorsqu'elles se régénéraient naturellement (26 sites) et lorsqu'elles avaient été reboisées avec des épinettes blanches (23 sites). Résultat? Sur un horizon de 50 ans, les quantités de carbone retirées de l'atmosphère sont comparables dans les deux cas.
«Ces résultats nous ont surpris, admet l'une des responsables de l'étude, Évelyne Thiffault. Le reboisement des terres agricoles abandonnées est l'une des méthodes mises de l'avant pour créer des puits de carbone et diminuer la concentration de CO2 dans l'atmosphère. Nos travaux montrent que c'est plus compliqué qu'il ne le semble. En Abitibi, pendant les 50 premières années qui suivent l'abandon des terres agricoles, la succession végétale naturelle permet de capter autant de carbone que les plantations, mais à moindre coût et sans générer d'émission de carbone. Dans l'optique où l'on dit que les trois prochaines décennies sont cruciales pour freiner les changements climatiques, la succession naturelle semble parfois plus avantageuse que les plantations au chapitre de la captation de carbone.»
«Notre message n'est pas que les plantations n'ont pas leur place ni que la succession végétale est la solution dans tous les cas, insiste la chercheuse. Nos travaux actuels visent d'ailleurs à préciser les caractéristiques des sites qui font qu'une solution devrait être préférée à l'autre afin d'obtenir une captation optimale de carbone. Ils visent aussi à caractériser les bénéfices associés à l'une ou l'autre des options.»