Un grand sondage Léger a déjà révélé que les dentistes et les coiffeurs étaient parmi les travailleurs les plus heureux au Québec. Qu'en est-il pour les agriculteurs? «Tantôt ils sont vraiment très heureux, par exemple en termes de reconnaissance dans la société, tantôt c'est très difficile au niveau de la rémunération. Nous avons voulu mesurer la satisfaction professionnelle des producteurs en circuits courts, soit ceux qui vendent directement aux consommateurs, par exemple les fermiers de famille, ou ceux qui recourent à un intermédiaire comme un restaurant», explique Stevens Azima.
L'étudiant au doctorat en agroéconomie est l'auteur principal d'une étude publiée dans la revue Agriculture and Human Values, cosignée avec Patrick Mundler, professeur à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation. Ils ont effectué un sondage en ligne auprès de 613 agriculteurs à travers le Canada. «C'est quand même pionnier comme travail, dans la mesure où très peu d'études ont été faites à cette échelle», soit celle d'un pays plutôt que d'une localité, expose Stevens Azima.
Sur l'ensemble des répondants, 38% provenaient du Québec, 85% avaient une éducation postsecondaire, la grande majorité avait démarré sa propre entreprise, 35% exploitaient une ferme biologique et 51% faisaient de l'agrotourisme, précise le doctorant.
Les chercheurs de l'Université Laval ont mesuré trois catégories de satisfaction professionnelle: le plaisir au travail, la satisfaction sociale, soit les interactions avec d'autres producteurs ou avec les clients directement, et enfin la satisfaction économique.
Comme tous les répondants faisaient un minimum de ventes en circuits courts, l'idée était de tester si ceux qui misaient davantage sur ce type de ventes avaient des scores de satisfaction plus élevés. La réponse est oui, en ce qui concerne le plaisir au travail et la satisfaction économique, et ce, après des tests de sensibilité qui assuraient d'obtenir les mêmes résultats, peu importe l'approche.
Pas plus de satisfaction sociale… sauf chez les femmes
«En revanche, on n'a pas trouvé de relation pour la satisfaction sociale», précise Stevens Azima. Ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs en circuits courts, qui vendent directement aux consommateurs, ne trouvent pas leur compte socialement, prévient le doctorant. Ça montre plutôt qu'une plus forte implication dans ces initiatives ne change rien à leur bonheur sur ce plan. À noter, les scores moyens de satisfaction sociale étaient assez élevés, peu importe la situation.
Une variable vient toutefois changer les résultats: le genre. Les agricultrices déclarent une satisfaction sociale plus élevée. D'ailleurs, 49% des répondants au sondage étaient des femmes. «Ce qui est en soi un bon indicateur. Il y a toute une littérature sur le rôle prépondérant des femmes en circuit court et dans les systèmes alternatifs en général, comparativement au niveau de féminisation en agriculture conventionnelle», souligne Stevens Azima, qui prépare un autre article sur le sujet.
La présente étude fait quant à elle ressortir que plus l'âge de l'agriculteur augmente, plus sa satisfaction économique est élevée. Plus le revenu net est élevé, plus grande aussi est la satisfaction, un effet qui tend toutefois à s'estomper au-delà de 40 000$ par an, en ce qui concerne le plaisir au travail et la satisfaction sociale.
Une surprise pour les chercheurs: les producteurs qui ont recours à un intermédiaire, comme un restaurant, un hôtel ou une institution, ont une moins grande satisfaction économique. «Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de beaux contrats. Mais les circuits intermédiaires impliquent souvent une grande logistique, des efforts qui peuvent être importants pour, souvent, des prix assez modestes. Ça pourrait peut-être expliquer ce résultat, mais ça reste à approfondir», nuance le doctorant.
Des systèmes plus résilients
Si les marchés publics de produits de la ferme ont longtemps existé, on assiste à une résurgence. Quant aux paniers de produits biologiques et au Réseau des fermiers de famille, ils sont un phénomène relativement nouveau. Stevens Azima explique cet engouement en remontant l'histoire. À partir de la Seconde Guerre mondiale, les grands circuits de commercialisation alimentaire, de la chaîne de production jusqu'aux épiceries, se sont progressivement imposés. Mais avec le temps, ils ont fait face à un ensemble de critiques, notamment sur les plans social, environnemental et économique. En réponse à ces critiques, des systèmes parallèles, misant beaucoup sur l'alimentation locale et de proximité, se sont développés au tournant du siècle au Canada.
Bien que son étude se base sur des données recueillies avant la pandémie, Stevens Azima constate aussi que «la COVID-19 a été un moment fort où l'on s'est mis à se poser des questions sur la souveraineté alimentaire et l'importance d'acheter local». De récentes recherches tendent à montrer que les systèmes alimentaires locaux et les circuits courts semblent avoir été plus résilients dans ce contexte, ajoute le doctorant, qui a fait une présentation sur le sujet au congrès de l'Acfas en mai dernier. «Même si ces systèmes alternatifs ne peuvent pas remplacer les grands circuits de commercialisation à court terme, c'est bien d'avoir autant d'options.»