Jean-Pierre Després, professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval, fait toujours sursauter son auditoire en conférence en disant que la graisse des fesses et des cuisses est non seulement anodine, mais protectrice.
«En 1991, on a publié une étude où on avait rapporté que lorsque les femmes ont de la graisse de façon importante dans les fesses et les cuisses, dû à l'activité d'une enzyme dans le tissu adipeux, la lipoprotéine lipase, elles ont des taux de bon cholestérol dans le sang très élevé. Bien, aujourd'hui, on a des études prospectives […] qui montrent que plus vous avez de graisse dans les fesses et les cuisses, plus vous êtes protégées contre les maladies cardiovasculaires.»
Le professeur Després, aussi directeur scientifique de Vitam, participait au colloque Obésité et santé: cibler la perte de poids ou le mode de vie? qui avait lieu cette semaine au 89e Congrès de l'Acfas. Avec d'autres chercheurs, il a tenté de déboulonner certains mythes et préjugés qui établissent le lien entre le poids et la santé.
Selon eux, des nuances s'imposent dans les messages transmis au public concernant l'obésité, dépeinte comme un fardeau économique pour la société, l'une des grandes causes de la diminution de l'espérance de vie, et un facteur de risque pour la COVID-19.
«Ces informations basées sur les résultats d'études ne sont pas nécessairement fausses, mais il faut aller au-delà des chiffres et des présomptions qu'on a en ce qui a trait à l'association entre notre poids sur la balance et le risque de développer des problèmes de santé», insiste Benoît Arsenault, chercheur et professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval.
L'indice de masse corporelle
Il donne l'exemple de l'indice de masse corporelle (IMC), soit le poids en kilos divisé par la taille en mètres au carré. Un poids dit «normal» est situé entre 18,5 et 24,9. Un IMC plus élevé fait tomber une personne dans les catégories «surpoids», «obésité» ou «obésité massive».
«Selon l'une des plus grosses études jamais réalisées sur le sujet, avec plus d'un million d'hommes et de femmes suivis dans différents pays, on voit que le fameux surpoids, entre 25 et 30, n'est pas nécessairement associé à un risque de mortalité si élevé. C'est un message important à envoyer, puisqu'il y a environ 30 à 40% des gens dans la population qui sont dans cette catégorie», souligne le professeur Arsenault.
Pour bien mesurer les conséquences cardiométaboliques au-delà de l'IMC, on utilise le tour de taille. Car si le gras des cuisses et des fesses est anodin, il en va autrement pour celui du ventre. Une étude américaine a démontré que même chez les individus avec des IMC faibles, le fait d'avoir une grande circonférence de taille augmentait de façon très importante le risque de mortalité. Quant aux gens ayant un IMC entrant dans la catégorie «obésité», mais un tour de taille modéré, leur risque de mortalité n'est pas significativement plus important.
Le professeur Arsenault ajoute que chez les individus actifs, il n'y a pas vraiment de conséquences à avoir un IMC élevé, le risque de développer des maladies coronariennes n'augmente pas nécessairement. «La condition cardiorespiratoire, notre condition physique, est l'un des principaux déterminants de la mortalité, bien plus que le poids, le tabagisme, l'hypertension, le cholestérol et le diabète.»
Bouger sans maigrir
Il y a des tonnes de bénéfices à être actif au quotidien, à avoir une condition cardiorespiratoire élevée, poursuit le professeur. Il parle d' «effets spectaculaires» sur la composition corporelle, la masse musculaire, la santé mentale, la diminution de la graisse localisée aux mauvais endroits... Malgré tout, une grande proportion de gens qui se mettent à l'activité physique ne perdront pas un seul kilo.
La morale de cette histoire? «Mieux vaut être en forme que perdre du poids», résume le professeur Després.
Et dans l'assiette?
Qu'en est-il de l'assiette? Simone Lemieux, professeure à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval et chercheuse au centre NUTRISS, fait référence à des études au cours desquelles des gens ont été nourris avec une alimentation riche en légumes, en fruits, en grains entiers, et plus faible en gras et en sodium. Ce qui peut ressembler aux recommandations du Guide alimentaire canadien.
Même s'il n'y a eu aucun changement de poids, les effets de cette alimentation sur la santé ont été notables, comme des améliorations métaboliques et la réduction de la tension artérielle. «Une autre preuve qui démontre qu'on n'a pas besoin de perdre des kilos pour avoir les impacts bénéfiques de manger sainement.»
Si ça fait maigrir, c'est bon pour la santé?
Un autre mythe auquel la professeure Lemieux aimerait s'attaquer est cette idée que «si ça fait maigrir, c'est bon pour la santé». Elle cite un rapport de l'Institut national de santé publique du Québec, où l'on fait une revue des bénéfices et des risques associés à l'utilisation de produits amaigrissants offerts en vente libre dans les pharmacies.
«Dans ce rapport, on parle non seulement des risques toxicologiques liés à certains ingrédients dans les produits pour maigrir, en termes d'interaction avec les médicaments, mais également du risque associé au fait d'être à la diète, de s'imposer des restrictions. On parle de risques pour la santé métabolique, mais aussi des risques à briser la relation qu'on a avec la nourriture, à briser le plaisir qu'on a à manger et donc même des impacts sur la santé mentale.»
Le temps de déculpabiliser
La prévalence de l'obésité dans le monde n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. «On vit dans un environnement toxique à la physiologie humaine», lance le professeur Després en présentant une diapositive pleine d'aliments transformés.
Les professeurs et chercheurs entendus au colloque s'entendent tous sur l'importance de déculpabiliser la population.
Simone Lemieux salue à cet égard le Guide alimentaire canadien, revu en 2019. «En trame de fond, il y a un souci de répondre à l'augmentation de l'obésité, mais les gens de Santé Canada, lorsque les recommandations ont été écrites, ont pris soin de ne pas parler de calories, d'énergie, de contrôle du poids. Ils ont voulu décrire la saine alimentation de manière très indépendante de toute la question du poids. Alors que dans les recommandations américaines, le lien est beaucoup plus étroit.»