En 1995, 18% des bébés naissaient par césarienne au Canada. Malgré les appels répétés à la retenue lancés par la Société des gynécologues et obstétriciens du Canada, ce taux atteint maintenant 30%. Une équipe d'économistes de la santé qui a examiné les causes les plus fréquemment mises de l'avant pour expliquer ce phénomène arrive à une conclusion étonnante: les facteurs sur lesquels reposent les soupçons expliqueraient moins de la moitié de la hausse observée, concluent-ils dans une étude publiée dans la revue Canadian Public Policy.
Cette équipe, dont fait partie Maripier Isabelle, du Département d'économique et du Centre de recherche CERVO, arrive à ce constat au terme d'une analyse portant sur plus de 4 millions d'accouchements qui ont eu lieu au Canada entre 1994 et 2011. Les chercheurs ont estimé la contribution de différents facteurs liés aux caractéristiques de la mère, du médecin et de l'accouchement sur l'augmentation des naissances par césarienne.
Sans surprise, le fait d'avoir déjà eu une césarienne est le principal contributeur à cette hausse (22%). Viennent ensuite le pourcentage de cas pris en charge par un gynécologue-obstétricien (15%), la détresse fœtale (6%) et le travail anormal au moment de l'accouchement (4%).
Les autres facteurs couramment avancés, notamment les grossesses multiples résultant de traitements de fertilité, l'obésité de la mère, le diabète de grossesse et la rémunération plus élevée des médecins lorsqu'il y a césarienne, expliquent individuellement 1% ou moins de la hausse.
«La recherche d'un ou de quelques facteurs clés pour expliquer cette hausse semble contreproductive, constate la professeure Isabelle. Même en additionnant la contribution de tous les facteurs connus, on n'arrive pas à 50% du total de la hausse. La plus grande partie de l'augmentation dans le pourcentage de césariennes provient donc de facteurs qui ne sont pas capturés par les données administratives auxquelles nous avons accès.»
Quels pourraient être ces facteurs? «La partie inexpliquée de la hausse survient majoritairement, et de façon assez subite, entre 2000 et 2005, suggérant qu'un événement particulier pourrait y être lié, signale Maripier Isabelle. La diffusion de certaines informations pouvant influencer les préférences des femmes et de leur médecin ou le style de pratique de ces derniers constituent des pistes intéressantes. Le côté prévisible d'un accouchement par césarienne pourrait aussi avoir un effet. Certaines études menées aux États-Unis ont révélé qu'il y avait une hausse des césariennes en fin de quart de travail des médecins ainsi que le vendredi. Par contre, ce genre de facteurs pourrait difficilement expliquer le caractère ponctuel de la hausse inexpliquée que l'on observe dans les données canadiennes.»
Un peu plus de 100 000 césariennes sont pratiquées annuellement au Canada. Cela en fait l’intervention chirurgicale avec hospitalisation la plus fréquente, loin devant le remplacement du genou, le remplacement de la hanche, les réparations de fractures et l'angioplastie cardiaque. La durée du séjour hospitalier après césarienne est de 2,7 jours en moyenne.
«Cette intervention entraîne des coûts importants au réseau de la santé, rappelle Maripier Isabelle. Nous sommes chanceux de pouvoir en bénéficier lorsque l'intervention s'impose pour protéger la santé de l'enfant et de la mère, mais il faut s'assurer que la partie de la hausse qui demeure inexpliquée constitue une allocation efficace des ressources.»
Les autres auteurs de l'étude publiée dans Canadian Public Policy sont Michael Baker et Sara Allin, de l'Université de Toronto, et Mark Stabile, de l'Institut européen d'administration des affaires.