
Christiana Bédard-Thom lors d’un demi-Ironman dans le Maine, aux États-Unis, en 2019. Cette compétition comporte trois épreuves: 1,9 kilomètre de nage, 90 kilomètres de vélo et 21,1 kilomètres de course à pied.
— FinisherPix
Les Jeux olympiques d’hiver qui viennent tout juste de se terminer nous ont rappelé la place centrale qu’occupe le sport de compétition dans le monde moderne. Pour expliquer le niveau d’excellence atteint par les athlètes de haut niveau, la psychologie du sport réfère la plupart du temps au concept de force mentale. Ce concept n’est pas banal puisque de nombreux acteurs du milieu sportif, notamment les entraîneurs et les athlètes, estiment qu’entre 40% et 90% de la performance sportive serait liée à des facteurs psychologiques. Pas surprenant alors que la force mentale ait inspiré nombre d’études depuis plus d’une vingtaine d’années dans le monde. Selon Christiana Bédard-Thom, bien qu’il soit reconnu que la force mentale puisse améliorer ou maintenir la performance sous pression, cette diversité de perspectives a entraîné une certaine imprécision quant à ce qui caractérise la force mentale, si bien qu’aucun consensus n’a encore été établi sur ce qu’elle représente.
«Dans ma recherche doctorale, explique-t-elle, j’ai répertorié au-delà de 70 ressources pour décrire la force mentale. Cela dénote la grande confusion sur ce qui la compose. La majorité des définitions de la force mentale se rapporte aux succès, aux gagnants, à ceux qui reviennent de l’arrière et gagnent. La force mentale est souvent considérée par le grand public et définie par les chercheurs par ce qu’elle permet aux athlètes de réaliser, par exemple battre son opposant ou bien offrir une performance de haut niveau. Selon les définitions, un athlète fait preuve de force mentale seulement lorsqu’il atteint une certaine norme de performance. Mais qu’en est-il de l’athlète qui est confronté à un stresseur et qui fait face à cet obstacle pour atteindre ses buts? Ne fait-il pas preuve de force mentale, même s’il termine quatrième de son épreuve ou même dernier? Ainsi, il semble y avoir une confusion entre ce qui constitue la force mentale et ses conséquences.»
Un état psychologique
Christiana Bédard-Thom est une adepte du triathlon. Le 31 janvier, elle a fait la soutenance en ligne de sa thèse de doctorat en psychopédagogie. Elle y décrit la force mentale comme un état psychologique qui survient à un moment et dans une situation donnée alors qu'un stresseur met en péril les objectifs, comme une chute ou un faux départ. «Par exemple, dit-elle, deux athlètes qui partagent le même niveau d’habileté physique vivront une performance différente lors d’une compétition dans laquelle ils rencontrent un facteur de stress, en fonction de leur niveau de ressources psychologiques de force mentale.»
Pour l’avancement des connaissances dans ce secteur de recherche, un cadre conceptuel intégrateur et plus parcimonieux s’avérait nécessaire et c’est ce à quoi Christiana Bédard-Thom s’est consacrée durant sa recherche.
«Grâce à une recension critique couvrant les 20 dernières années, souligne-t-elle, j’ai relevé les principales composantes de la force mentale et proposé une définition et un modèle capables d’expliquer comment la force mentale mène à une performance optimale lorsque les athlètes sont sous pression. Selon ce modèle, la performance fait référence à ce que l’athlète tente d’accomplir, peu importe la nature de l’objectif. Par exemple, aux récents Jeux olympiques de Pékin, plusieurs athlètes ont pu faire preuve de force mentale au cours de leur poursuite d’objectifs sans nécessairement gravir la marche d’un podium.»
Ce nouveau modèle multidimensionnel, nommément le modèle Efficacité-Maîtrise de soi-Objectif (EMO), définit la force mentale comme une ressource psychologique limitée qui se déploie lorsqu’un athlète se sent confiant par rapport à une activité. Cette ressource lui permet de se réguler pour atteindre des objectifs spécifiques et difficiles dans un moment précis en présence d’un stresseur qui les met en péril. Plus particulièrement, le modèle stipule que la force mentale soit constituée de trois ressources psychologiques, soit la perception d’efficacité personnelle, la maîtrise de soi et les objectifs ambitieux, qui sont stimulées en contexte d’adversité. Pour expliquer l’influence de la force mentale sur la performance, il est proposé que ces ressources agissent par quatre mécanismes psychologiques – attention, effort, persévérance, stratégies – lorsque les athlètes font face à un facteur de stress.
Le modèle EMO a été validé dans le cadre de deux études menées auprès d’athlètes qui pratiquent une discipline sportive d’endurance. La première étude, réalisée à l’aide d’un questionnaire en ligne, a consisté à valider le modèle auprès de 649 adeptes de la course à pied de novices à expérimentés. La seconde étude, de nature expérimentale, visait à appuyer les résultats de cette première étude en testant le modèle lors d’une épreuve cycliste dans un centre d’entraînement auprès de 74 cyclistes expérimentés. Cette étude expérimentale représentait une première tentative d’étudier la force mentale dans un laboratoire en utilisant un test d’endurance spécifique au cours duquel un stresseur a été induit.
«Les résultats des deux études soutiennent le modèle EMO, affirme-t-elle. Ils révèlent que les athlètes ayant des ressources élevées de force mentale avant une activité d’endurance seraient plus enclins à déployer leurs mécanismes psychologiques pendant l’activité, c’est-à-dire faire preuve d’un haut niveau d’attention, d’effort, de persévérance et de stratégie. Ainsi, ils atteindraient des niveaux de performance liés aux les objectifs qu’ils se sont fixés au préalable en contexte d’adversité ou de pression.»
Comment développer la force mentale
Christiana Bédard-Thom consacre la dernière partie de sa thèse au processus de développement de la force mentale, qui pourrait être facilité par l’apprentissage de techniques d’habiletés mentales. Selon elle, les résultats de sa recherche suggèrent que les niveaux de ressources de la force mentale peuvent fluctuer dans le temps. Ainsi, des stratégies pouvant améliorer la fixation d’objectifs, l’efficacité personnelle et la maîtrise de soi seraient efficaces pour favoriser la force mentale. Enseigner aux athlètes comment se fixer des objectifs ambitieux, c’est-à-dire spécifiques et difficiles, est une première stratégie. Spécifiques et difficiles et qui ne deviennent pas trop faciles ou irréalistes. «Un entraîneur, poursuit-elle, pourrait proposer à l’athlète d’améliorer son temps sur marathon de 1%, et ce, en gardant une cadence de jambe élevée, par exemple 180 pas/minute, en fin de course. L’athlète pourra ainsi évaluer s’il progresse ou non vers l’atteinte de son objectif et guider ses efforts durant l’action. Ces derniers peuvent être encouragés à augmenter le degré de difficulté de façon graduelle en fonction de ce qui aura été préalablement atteint, par exemple de 1 à 5% d’amélioration de son temps sur marathon.»
L’enseignement de techniques d’habileté mentale passe aussi par le renforcement de l’efficacité personnelle. Cela consiste, pour l’athlète, notamment à vivre des succès répétés à l’entraînement, puis à y réfléchir ultérieurement, ce qui générera des attentes de réussite lors de circonstances similaires. Aussi, les athlètes peuvent être amenés à développer un discours interne de type motivationnel. Il s’agit d’une série de phrases motivantes personnalisées, formulées de façon positive et axées sur le moment présent telles que «Tu es capable» ou «Reste calme». Ces phrases, qui auront été adaptées aux caractéristiques et besoins spécifiques des athlètes, pourront contribuer au renforcement de la confiance qu’ils entretiennent en leurs capacités à atteindre leurs objectifs lors d’un événement compétitif.
La maîtrise de soi est une énergie limitée qui permet de se réguler; il est donc crucial de lui permettre de se rétablir pour éviter de tomber dans un état d’épuisement. Pour son maintien, parmi les stratégies proposées dans la documentation scientifique, les athlètes peuvent être encouragés, en préparation à une compétition d’endurance, à se reposer et à dormir suffisamment, à utiliser des techniques de relaxation active ou des outils de pleine conscience.
Un second axe sur lequel agir pour développer la force mentale de l’athlète est celui de son environnement. De récentes études empiriques laissent entendre qu’il existerait une valeur ajoutée, pour les entraîneurs, à proposer des expériences d’apprentissage stimulantes et difficiles dans le but de cultiver la force mentale. L’idée consiste, lors d’entraînements, à recréer de façon modérée des situations de mise sous pression, stressantes, difficiles ou inconfortables qui peuvent survenir en compétition afin que l’athlète pratique les habiletés mentales acquises au préalable pour faire face à ces imprévus le moment venu. Pensons notamment à l’entraînement dans la chaleur ou sous la pluie. Pensons aussi à l’entraînement devant une foule bruyante pour apprendre à l’athlète à utiliser une stratégie de relaxation comme le contrôle respiratoire, combinée à l’utilisation d’un mot clé comme le mot «calme», afin de mieux maîtriser ses états internes à certains moments décisifs.