Amélie Daoust-Boisvert est professeure adjointe au Département de journalisme de l’Université Concordia à Montréal. Début novembre, elle a fait paraître en ligne, dans la revue savante Public Understanding of Science, un article sur les profils et les motivations des étudiantes et des étudiants inscrits entre 2009 et 2018 au cours Communication scientifique offert par la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia de l’Université Laval.
«J’ai créé le cours après mes études de maîtrise, explique-t-elle, et je l’ai donné, à titre de chargée de cours, jusqu’à l’automne 2018. J’ai enseigné à 429 étudiantes et étudiants durant cette période.»
Selon elle, l’enseignement de la communication scientifique a pris de l’expansion dans les années 1990 et la demande pour cette compétence est croissante. «Cette demande ne se limite pas aux journalistes scientifiques, précise-t-elle. La pandémie a fait redécouvrir l’importance des communicateurs scientifiques dans une multitude de professions. Aujourd’hui, toutes les organisations ont un site Web, une infolettre, une page Facebook qu’il faut alimenter par des gens qui savent vulgariser et qui savent communiquer avec clarté à l’interne comme à l’externe.»
L’Université Laval a créé son premier cours de communication scientifique en 1976. En 2009, elle a mis sur pied le premier cours de communication scientifique de niveau universitaire francophone et en ligne au Canada.
Amélie Daoust-Boisvert a analysé les 10 ans de données accumulées sur les étudiantes et les étudiants inscrits à ce cours. Son étude révèle, entre autres, une féminisation de la profession de communicateur scientifique. «On observe ce phénomène depuis un certain temps et partout dans le monde, souligne-t-elle. Je le constatais en enseignant le cours. Sur une période de 10 ans, 65,7% de celles et ceux qui l’ont suivi étaient des femmes.»
Les personnes inscrites au cours entre 2009 et 2018 provenaient de 67 programmes d’études différents. Les programmes les plus représentés étaient la communication (17,0%), la nutrition (13,8%), le journalisme (11,6%), la physique (5,8%), l’agronomie (5,6%) et la biologie (5,6%). Près des deux tiers des étudiantes et étudiants (61,8%) étaient au baccalauréat. Globalement, 51% des inscrits étaient rattachés aux sciences dites «dures» (sciences naturelles, santé et génie) contre 41% aux sciences dites «molles» (sciences sociales, art et éducation).
«Cette répartition, indique la chercheuse, est en accord avec de précédentes études qui démontrent que le champ de la communication scientifique se divise en deux tendances.»
Nutrition, journalisme, physique, agronomie et biologie
«Lorsque j’enseignais, rappelle Amélie Daoust-Boisvert, les grands communicateurs en nutrition étaient des femmes. Des étudiantes se reconnaissaient en elles. Elles ne se voyaient pas uniquement donner des conseils dans un bureau. Elles voulaient influencer plus largement, par exemple en ayant un blogue. Elles trouvaient une motivation à améliorer la santé publique.»
Selon elle, beaucoup d’étudiantes et d’étudiants en journalisme suivaient le cours dans le but de se distinguer des autres journalistes. «Les journalistes, dit-elle, n’ont pas la réputation de venir de la filière scientifique. Plusieurs des étudiantes et étudiants en journalisme venaient chercher des outils pour leur permettre de parler plus tard de sujets plus complexes comme l’environnement.»
«Les inscrits en physique, poursuit-elle, étaient conscients de la complexité de leur science et voulaient pouvoir la vulgariser. Le même souci animait celles et ceux du programme d’agronomie. Les agriculteurs avec qui je travaillerai ne sont pas des scientifiques, se disaient les étudiantes et les étudiants. Je dois pouvoir leur expliquer de façon vulgarisée le pourquoi de mes conseils. Quant à la biologie, cette discipline attire au départ celles et ceux qui ont envie de partager leur science.»
Amélie Daoust-Boisvert estime qu’on ne suit pas tant un cours de communication scientifique pour devenir communicateur que pour ajouter un outil jugé crucial sur le marché du travail d’aujourd’hui, dans un vaste éventail de métiers. «On a besoin de se démarquer dans un monde moderne concurrentiel, explique-t-elle. Une formation en communication scientifique sera un outil de plus qui va faire une différence pour le futur ou la future professionnelle.»
«À ma connaissance, soutient-elle, aucune étude n’avait à ce jour évalué les motivations d’étudiantes et d’étudiants à suivre des cours de communication scientifique.»
Un des tableaux de l’étude porte sur l’analyse motivationnelle entre étudiants et étudiantes. On remarque notamment que 19% des hommes contre 6% des femmes voyaient la communication scientifique ou le journalisme scientifique comme une possibilité de carrière. Dans le même esprit, 53% des hommes et 73% des femmes percevaient la communication scientifique ou le journalisme scientifique comme un atout. D’autre part, 31% des hommes et 17% des femmes ont choisi ce cours pour étancher une soif pour la science et la connaissance. En ce qui concerne l’éducation en ligne, 3% des hommes et 10% des femmes ont suivi cette formation à distance parce qu’elle favorisait un équilibre entre les études et la vie familiale.
En résumé, les résultats de l’étude démontrent que la personne typique inscrite à un cours de communication scientifique universitaire est une femme dont la motivation à suivre ce cours est en fonction de sa carrière. Pour elle, les habiletés communicationnelles en science sont surtout perçues comme un avantage en vue d’une carrière dans les domaines de la communication, de la science ou de la santé.
«Que les profils motivationnels soient orientés vers la carrière, par l’intérêt personnel ou par la formation à distance, des différences se constatent selon le genre de la personne ou son champ d’études», souligne la chercheuse.
En guise de conclusion, Amélie Daoust-Boisvert revient sur le besoin, dans la société, pour de bons vulgarisateurs scientifiques, qu’ils soient journalistes ou non. «Ces professionnels, dit-elle, créent du sens à partir d’informations qui sont partout. Ils décloisonnent la science qui est complexe et foisonnante.»