La consommation de boissons et d'aliments auxquels les fabricants ajoutent, sans y être légalement contraints, des vitamines ou des minéraux permet-elle d'éviter les carences nutritionnelles? Ou, au contraire, propulse-t-elle l'apport de ces micronutriments au-dessus des limites sécuritaires? Aucune de ces réponses, du moins à l'échelle de la population, conclut une étude qui vient de paraître dans la revue Food and Nutrition.
Didier Brassard, doctorant à l'École de nutrition de l'Université Laval et membre du Centre nutrition, santé et société et de l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels, et Valerie Tarasuk, de l'Université de Toronto, arrivent à ce constat après avoir analysé l'apport des aliments enrichis volontairement en vitamines, minéraux ou acides aminés au bilan nutritionnel de plus de 20 000 personnes qui ont participé à l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes.
Rappelons qu'au Canada, l'ajout de micronutriments aux boissons et aux aliments est régi par le Règlement sur les aliments et drogues. Il couvre, d'une part, les micronutriments que les fabricants ont l'obligation d'ajouter à leurs produits. Par exemple, le règlement oblige l'ajout d'acide folique à la farine, de vitamines A et D à la margarine, de vitamine D au lait et d'iode au sel de table.
D'autre part, le règlement encadre les micronutriments que les fabricants choisissent d'ajouter à leurs produits. On pense, par exemple, à l'eau vitaminée enrichie en calcium, en zinc, en magnésium et en vitamines, aux boissons énergisantes souvent enrichies en vitamine B6 ou aux barres énergétiques. C'est l'apport en micronutriments de ces produits que les deux chercheurs ont estimé dans leur étude.
Leurs analyses révèlent que les personnes qui consomment des aliments volontairement enrichis:
Sont surreprésentées dans le quartile de la population qui consomme le plus de micronutriments
Se retrouvent moins fréquemment dans le groupe qui n'atteint pas le seuil minimal recommandé
Ont un apport quotidien qui, selon le micronutriment considéré, est de 24% à 111% plus élevé que celui des personnes qui ne consomment pas ces produits.
«Les données montrent que la consommation de produits volontairement enrichis est associée à des apports nutritionnels plus élevés, mais il y a peu d'indications suggérant que ces apports mettent à l'abri des carences nutritionnelles ou les propulsent au-delà des limites quotidiennes recommandées», résume Didier Brassard.
Il s'agit toutefois de constats qui considèrent la question sous l'angle populationnel et non individuel, prévient le doctorant, qui est également nutritionniste. «Nos conclusions ne signifient pas qu'il est anodin de consommer des boissons ou des aliments volontairement enrichis. Les personnes qui en consomment beaucoup peuvent excéder les limites quotidiennes recommandées pour certains nutriments. Ces produits ne sont pas recommandés dans le Guide alimentaire canadien, ils ne présentent pas d'avantages nutritionnels et ils prennent la place d'autres boissons et aliments qui ont un véritable apport.»
Malgré la valeur discutable de ces produits, leurs ventes sont en hausse au pays. Comment expliquer leur popularité? «L'enrichissement volontaire donne une image santé à des produits qui ne sont pas intéressants sur le plan nutritionnel. C'est une stratégie de mise en marché qui fonctionne auprès d'une partie de la population.»