
La basilique Saint-Pierre, au Vatican, à Rome. Les encycliques papales n’ont pas empêché les totalitarismes de se développer et de s’étendre. Si elles n’ébranlèrent pas fondamentalement lesdits totalitarismes, elles dérangèrent tout de même et suscitèrent des réactions.
— Getty Images/Massimo Merlini
«Le 20e siècle n’a pas été un siècle paisible, souligne le professeur Philippe Roy-Lysencourt, de la Faculté de théologie et de sciences religieuses (FTSR). Les guerres, qui ont divisé l’humanité, furent nombreuses et d’une violence jamais atteinte. Le 20e siècle a aussi connu un phénomène nouveau qu’on appelle le totalitarisme.»
C’est par ces mots que commence L’Église catholique et les totalitarismes du 20e siècle, l’un des 33 modules de formation continue présentement offerts à la FTSR. Ces cours en ligne de trois heures sont ouverts à tous.
Le totalitarisme est un concept forgé au 20e siècle, dans l’entre-deux-guerres, pour désigner les systèmes politiques autoritaires caractérisés par un monopole idéologique et un parti unique contrôlant l’ensemble de l’appareil étatique. Les trois principaux systèmes sont le nazisme, né en Allemagne, le fascisme, né en Italie, et le communisme, né en Union soviétique.
Selon le professeur, plusieurs facteurs expliquent l’éclosion des régimes totalitaires, comme les régimes autoritaires, en Europe. La Première Guerre mondiale est l’un d’eux. «En 1918, dit-il, l’Europe sortait d’une guerre terrible qui a fait plus de 18 millions de morts. Plusieurs pays étaient détruits et quatre grands empires s’étaient effondrés. Le coût de cette guerre a représenté trois à quatre fois le montant du produit intérieur brut des pays européens: l’Europe était ruinée. Les institutions et les hommes étaient blessés. Les années qui suivirent la guerre furent très difficiles: problèmes économiques liés à l’endettement et à l’inflation, crise économique des années 1930, problèmes sociaux comme le chômage et les grèves, mais aussi des problèmes politiques. À cela, il faut ajouter les mutations profondes amenées par l’industrialisation et l’urbanisation. Et puis, n’oublions pas que le conflit fut suivi de la pandémie de grippe dite “espagnole”, qui fit des millions de victimes en Europe.»
L’Église contre le nazisme
Un des objectifs du cours vise à appréhender la position de l’Église catholique à l’égard des trois grands totalitarismes du 20e siècle.
Selon Philippe Roy-Lysencourt, le Vatican a réagi particulièrement fortement contre le nazisme. Rappelons que le national-socialisme est l’idéologie politique du Parti national-socialiste des travailleurs allemands fondé en 1920 par Adolf Hitler. Ce parti prendra le pouvoir en 1933. Ce système est notamment responsable de l’élimination de personnes handicapées, de la persécution d’opposants politiques et de la spoliation et de la tentative d’extermination de la communauté juive.
«L’Église catholique d’Allemagne s’est opposée très tôt au national-socialisme, rappelle-t-il. Dès 1931, plusieurs évêques déclarèrent qu’un catholique ne pouvait pas, en principe, adhérer au parti. Les prises de position des évêques n’empêchèrent toutefois pas un grand nombre de catholiques de voter pour le parti nazi. Lors de la nuit des Longs Couteaux, plusieurs personnalités catholiques furent assassinées. De nombreux prêtres et laïcs opposés au régime nazi furent arrêtés. Entre 1938 et 1945, plus de 2500 prêtres, religieux et séminaristes allemands, mais aussi en provenance des territoires occupés par les nazis, furent déportés à Dachau.»
Il y a un opposant que le régime n’a pas osé faire arrêter. Il s’agit de l’évêque de Münster, Clemens August von Galen, qu’on a surnommé le Lion de Münster. Il n’hésita pas à dénoncer la doctrine raciale du nazisme, mais aussi les persécutions contre les catholiques, la loi du 14 juillet 1933 sur la stérilisation forcée, les mesures prises à l’encontre des écoles confessionnelles et de la presse catholique.
«En juillet et en août 1941, poursuit le professeur, von Galen prononça trois sermons particulièrement virulents. Dans l’un d’entre eux, le 20 juillet, il affirma qu’il était impossible d’avoir la moindre “communauté de pensée et de sentiment” avec le régime et appela ses diocésains à une résistance passive. Hitler avait l’intention de prendre des mesures contre l’évêque et même de l’éliminer, mais il risquait de se mettre les catholiques à dos alors qu’il était important pour lui, en pleine guerre, d’éviter d’affaiblir le front de l’intérieur. Mgr von Galen ne reçut finalement qu’une lettre de Göring l’accusant de “saboter la capacité de résistance du peuple allemand”. Il survécut au régime sans être davantage inquiété.»
À Rome, en 1928, le pape Pie XI condamne l’antisémitisme. En 1937, il publie une encyclique qui est lue dans toutes les églises d’Allemagne. Dans cette lettre, que Philippe Roy-Lysencourt qualifie de document le plus fort et le plus direct contre le nazisme, Pie XI déclare que la foi chrétienne est inconciliable avec la déification de la race, de la nation et de l’État. «Il condamne, dit-il, le néopaganisme, la négation de la morale universelle, de même que le principe nazi selon lequel “le droit est ce qui est utile à la nation”.»
Dans la pratique, avant et pendant la guerre, l’Église n’a d’autre choix que de rechercher la négociation diplomatique. Pour protéger les droits de l’Église, Rome signe en 1933 un concordat avec Berlin. «Face aux crimes commis envers les juifs, Pie XII, pape depuis 1939, va adopter une action discrète plutôt qu’une condamnation directe, indique le professeur. Cela permettra d’éviter des persécutions contre les catholiques, mais aussi de sauver un très grand nombre de juifs. Certains historiens estiment que Pie XII, par son action multiforme, aurait sauvé entre 700 000 et 860 000 juifs.»
Des encycliques retentissantes
Une encyclique est une lettre adressée par le pape aux évêques ou à l’ensemble des catholiques et qui a une fonction d’enseignement. Les encycliques pontificales contre les totalitarismes avaient donc pour objectif de montrer aux catholiques en quoi certains aspects des totalitarismes visés s’opposaient à la doctrine chrétienne. Elles visaient aussi à leur donner une ligne de conduite.
«Le Saint-Siège, affirme Philippe Roy-Lysencourt, a condamné les trois grands totalitarismes du 20e siècle dans des encycliques retentissantes. Toutefois, si le pape Pie XI a condamné les excès du fascisme dans son encyclique du 29 juin 1931, le nazisme dans son encyclique du 10 mars 1937 et le communisme dans son encyclique du 19 mars 1937, ces lettres papales n’ont pas empêché ces totalitarismes de se développer et de s’étendre. Elles n’ont pas porté de coup fatal aux régimes politiques qu’elles dénonçaient. Néanmoins, si elles n’ébranlèrent pas fondamentalement lesdits totalitarismes, elles dérangèrent tout de même et suscitèrent des réactions. En Allemagne, par exemple, l’État essaya d’empêcher la diffusion de l’encyclique du 10 mars 1937 et les entreprises qui avaient participé à son impression furent fermées.»
Dans son encyclique du 29 juin 1931, Pie XI s’oppose au culte de l’État tel que promu en Italie par le gouvernement fasciste de Mussolini. Le pape soutient que la conception du fascisme n’est pas compatible avec la doctrine catholique ni avec le droit naturel.
En 1921, Benito Mussolini avait fondé le Parti national fasciste. Celui-ci dominera l’Italie de 1922 à 1945.
Selon le professeur, Mussolini comprend que s’il doit accéder un jour au pouvoir, il doit ménager l’Église catholique et la papauté qui représentent une force politique considérable en Italie. «Mussolini, dit-il, entretenait des rapports ambigus avec l’Église. Dans un pays catholique comme l’Italie, il n’avait pas le choix de la ménager. Bien qu’il fût lui-même anticlérical dans sa jeunesse et bien qu’il conçût le fascisme comme une religion laïque, il fit du catholicisme la religion officielle de son régime, ce qui lui a attiré la sympathie de certains catholiques.»
«Une peste mortelle»
L’Église catholique s’est également opposée à l’idéologie communiste. Les premières condamnations de ce qui était une théorie révolutionnaire remontent à la seconde moitié du 19e siècle. En 1878, le pape Léon XIII, dans son encyclique, qualifie le communisme de «peste mortelle». En 1917, les bolchéviques, dirigés par Lénine, prennent le pouvoir en Russie. À partir de là, le mot «communisme» va désigner un mouvement politique révolutionnaire international. Cette organisation politique et sociale est fondée sur la suppression de la propriété privée au profit de la propriété collective. Après la Seconde Guerre mondiale, deux blocs verront le jour à l’échelle internationale. Ce sera la guerre froide. Idéologie totalitaire, le communisme fera entre 65 et 85 millions de morts.
En 1937, Pie XI, dans son encyclique, écrit que ce système politique est «intrinsèquement pervers». «Pour le pape, explique Philippe Roy-Lysencourt, le communisme est totalement incompatible avec le christianisme à cause notamment de son athéisme, son matérialisme dialectique et sa négation du droit naturel. Le pape dit que la pratique du communisme dépasse par son ampleur et par sa violence toutes les attaques endurées par l’Église.»
Sous Pie XII, plusieurs condamnations auront lieu. En 1949, un décret du Saint-Office interdit aux catholiques d’adhérer au communisme, sinon ils seront excommuniés.
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