«La poésie est l’émotion, en elle s’expriment des sentiments et des passions qui font rêver, des vérités qui agrandissent l’âme, est, dans la simplicité d’un monde épuré, une expérience personnelle s’affirme, où peut se retrouver le vulgum pecus des lecteurs, des passionnés.»
Ces mots, qui illustrent avec éloquence le pouvoir de l’art littéraire, sont tirés d’un texte écrit par Sylvain, un prisonnier du Centre de détention de Bapaume, en France. Il est l’un des quelque 20 détenus à avoir pris part au projet Les mots au-delà des murs depuis 2015. Cette initiative, liée à un projet de recherche, est pilotée par Dorothée Cooche-Catoen et Françoise Heulot-Petit, respectivement enseignante en littérature moderne et maître de conférences en arts du spectacle à l’Université d’Artois.
«Ayant une pratique d’écriture en dehors de mon travail académique, je me suis aperçu à quel point cet art peut être un exutoire. Le projet est né lorsque nous avons appris qu’il n’y avait pas d’activité culturelle au Centre de détention de Bapaume. Avec très peu de moyens – une feuille et un crayon –, les ateliers d’écriture permettent de travailler sur la valorisation des détenus, un public oublié de la population», assure Dorothée Cooche-Catoen.
Le 26 mars, la chercheuse et sa collègue ont présenté une communication sur leur projet dans le cadre d'un colloque sur le thème «Création et complicité. L’atelier artistique comme espace d’expression et de dialogue». Cet événement virtuel est organisé par la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Laval avec la collaboration de partenaires. Jusqu’en juin, 10 webinaires et une table ronde sont proposés sur le sujet des ateliers artistiques.
«Le colloque a été pensé pour les chercheurs et les étudiants, mais il peut aussi intéresser des professionnels de différents secteurs où les ateliers artistiques sont intégrés ou susceptibles de l’être. On propose des réflexions théoriques et des témoignages avec des intervenants qui n’appartiennent pas seulement au milieu universitaire», explique Mattia Scarpulla, doctorant en études littéraires, qui est derrière l’initiative avec le professeur Alain Beaulieu.
Pour Dorothée Cooche-Catoen et Françoise Heulot-Petit, c’était l’occasion de faire connaître les retombées concrètes de leur projet. «On voulait donner de la visibilité à notre projet pour montrer que, comme chercheuses, nous sommes très ouvertes sur la société. Pour nous, la recherche ne se cantonne pas aux laboratoires et doit répondre à des problématiques sociales», indique Dorothée Cooche-Catoen.
Les ateliers d’écriture au Centre de détention de Bapaume s’étalent de septembre à juin. Une fois par mois, les détenus sont invités à participer à une discussion. Les animatrices font un retour sur les textes écrits lors de la séance précédente et proposent un nouveau sujet. Les participants ont 30 à 45 minutes pour écrire un texte. Ils ont carte blanche, autant pour la forme – fiction, essai, poème, etc. – que le fond.
À la fin, ils sont invités à lire leurs écrits devant le reste du groupe. «Il peut être déroutant de lire un texte devant tout le monde; pourtant, les détenus le font avec beaucoup de volontariat. Les commentaires de chacun font en sorte qu’une interaction se met en place sur le plan humain, mais aussi sur le plan de l’écriture. Les détenus se créent leurs univers, et certains de ces univers se répondent», relate Dorothée Cooche-Catoen.
Ce projet, on s’en doute, peut libérer des douleurs enfouies au fond de l’âme des participants. Il permet aussi de révéler des talents et faire naître de nouvelles passions. D’ailleurs, un ouvrage qui rassemblera des textes particulièrement porteurs est en cours de préparation.
«Certains comptent développer leur pratique d’écriture une fois sortis de prison, alors que c’était une idée qui ne leur avait jamais traversé l’esprit avant, se réjouit Dorothée Cooche-Catoen. Plusieurs m’ont confié qu’ils étaient plus à l’aise avec la création littéraire et qu’ils ne voyaient plus l’écriture que dans une visée purement utilitariste, comme faire une demande de permission de sortie ou écrire à la famille.»
Pour la chercheuse, qui a effectué une vaste enquête nationale pour dresser le portrait des ateliers d’écriture en milieu carcéral, il est essentiel de marier les pratiques pédagogiques. «Les ateliers d’écriture sont une initiative très répandue dans les établissements carcéraux. Malheureusement, il n’y a pas d’harmonisation des pratiques pour l’instant. Plein de gens ont envie de faire bouger les choses et ont compris que l’écriture peut être très intéressante dans ces milieux contraints, mais il n’y a pas de coordination générale.»
D’où l’importance, ajoute-t-elle, de colloques comme celui organisé par l’Université Laval pour partager les expertises et les expériences. «C’est extraordinaire: la personne qui a donné une conférence après la nôtre, la sociologue Alexia Stathopoulos, est intervenue au Centre de détention de Bapaume, soit la même prison que nous, et on ne la connaissait pas! Depuis le colloque, nous conversons et nous espérons mettre en place une collaboration pour démocratiser davantage cette pratique des ateliers d’écriture.»
À inscrire à l’agenda
Le second webinaire du colloque Création et complicité se déroulera le vendredi 9 avril, à 11h30. On pourra entendre notamment Maxime Plamondon, comédien, conteur et étudiant à la maîtrise en études littéraires, sur le rapport entre l’acteur et le spectateur dans la pratique de l’oralité.