Pourquoi le gouvernement chinois fait-il pression sur le gouvernement de Hong Kong pour pouvoir juger sur le continent les habitants de ce territoire?
Selon les accords conclus avec Londres, Hong Kong bénéficie d’un statut particulier en Chine jusqu’en 2047 (principe du «Un pays, deux systèmes», NDLR). Cependant, ce projet de loi d’extradition s’inscrit dans une tendance au durcissement observée dans plusieurs autres situations. Les médias de Hong Kong subissent de plus en plus de pressions politiques et font preuve de davantage d’autocensure. Des députés prodémocratie ont aussi été expulsés de l’Assemblée législative il y a quelques années. Manifestement, le gouvernement chinois semble vouloir raffermir sa mainmise sur l’île. Les autorités ne peuvent pas se permettre de laisser aller Hong Kong, au moment où elles cherchent désespérément à annexer Taiwan. Il faut se rappeler qu’à l’origine, c’était Taiwan qui devait être rattachée à la Chine selon le modèle finalement appliqué à Hong Kong. Entretemps, une présidente et un parlement indépendantistes taiwanais ont été élus. Cela n’empêche pas les dirigeants à Beijing de continuer à vouloir une seule Chine réunissant Macao, Taiwan et Hong Kong. Voilà sans doute pourquoi ils veulent raffermir le contrôle politique sur l’île sans attendre 2047. Ils prennent les devants pour ne pas voir se répéter le même film qu’avec Taiwan.
Pourquoi les manifestants au projet de loi sur l’extradition s’y opposent-ils avec autant de vigueur?
Ils n’ont pas d’autre choix que de manifester pour exprimer leur désaccord. En effet, la structure du conseil exécutif local, qui dirige le territoire, donne l’avantage aux intérêts pro-Beijing. Le Conseil législatif local est structuré de telle sorte qu’il donne majorité au point de vue chinois. Même si la majorité de la population de Hong Kong s’oppose à ce projet de loi, le système en place les empêche donc de l’exprimer par une victoire électorale. Par ailleurs, les manifestants d’inquiètent des possibilités d’extradition vers la Chine continentale. Dans le système chinois, la notion de crime d’État ou de secret d’État s’avère extrêmement vague. Elle pourrait permettre l’extradition de dissidents de Hong Kong vers la Chine continentale. Or, pour l’instant, à Hong Kong, les tribunaux fonctionnent sur le système de droit inspiré en grande partie des lois britanniques, en vigueur au moment de la rétrocession en 1997. On se rappellera les procès subis par certains manifestants appartenant au Mouvement des parapluies en 2014 (une série de manifestations pour réclamer plus de démocratie à Hong Kong, NDLR). Ils auraient sans doute subi les foudres de la loi avec beaucoup plus de rigueur s’ils s’étaient retrouvés dans le système chinois.
Qui sont les manifestants qui déferlent par centaines de milliers dans les rues de Hong Kong?
Lorsqu’on parle d’un ou deux millions de personnes mobilisées, c’est énorme sur une île qui compte sept millions d’habitants. Il faudra voir comment le projet de loi pourrait être modifié en excluant, par exemple, les extraditions liées à des crimes de nature politique. Par ailleurs, on doit comprendre que les évènements actuels risquent d’accentuer la perte d’influence économique de Hong Kong. Depuis sa création comme comptoir britannique il y a 200 ans, le territoire tire une grande partie de sa prospérité des entreprises étrangères. Il a longtemps été le premier port de la Chine continentale. Aujourd’hui, Shanghai joue le rôle de porte d’entrée en Chine pour les marchandises étrangères, et la ville voisine de Shenzhen affiche un PIB plus important que celui de Hong Kong. Je crains que les élites qui dirigent le conseil exécutif local ne s’alignent encore davantage sur la Chine par calcul économique. Les habitants, eux, n’ont pas le choix de prendre la rue ou de faire la grève pour se faire entendre. La situation risque donc de se polariser davantage.