Comment expliquer que la rougeole soit en forte augmentation dans deux pays, l'Ukraine et la France, pourtant éloignés géographiquement?
La rougeole étant une des maladies les plus contagieuses qu'on connaît, les cas se répandent rapidement dans la population quand la couverture vaccinale descend en dessous de 95%. Les éclosions en Ukraine semblent liées à la chute de l'Union soviétique. Depuis ces années-là, les Ukrainiens ont beaucoup moins accès aux services de santé et à des programmes de vaccination. La France, pour sa part, semble être un des endroits dans le monde où la crise de confiance par rapport à la vaccination s'avère la plus importante. Un paradoxe dans le pays de Pasteur… Il faut dire qu'il y a eu plusieurs controverses, notamment celle liée à la vaccination contre l'hépatite B dans les années 1990. À cette époque, certains associaient la vaccination à la sclérose en plaques et le programme dans les écoles a été arrêté. La couverture vaccinale a été aussi très faible dans le cas de la grippe H1N1. On a l'impression que les crises en santé publique se succèdent dans ce pays sans que les autorités aient pris des mesures pour prévenir les erreurs. Cela mine la confiance dans les institutions et l'expertise médicale. Cette situation devrait cependant se résorber concernant la rougeole. Depuis janvier 2018, des mesures de vaccination obligatoire ont été mises en place.
Justement, que faudrait-il faire pour éradiquer cette maladie mondialement?
En fait, la réalité épidémiologique s'avère souvent très différente selon les pays. Aux Philippines, par exemple, les problèmes de sécurité liés à un vaccin contre la dengue ont fait dérailler les programmes de vaccination contre la rougeole. De grosses éclosions de cette maladie en Roumanie sont en partie dues à des ruptures de stocks du vaccin. Trouver une solution unique semble donc impossible, car il faut aussi bien améliorer l'accès aux services de vaccination que répondre aux doutes et aux questions de la population. Au Québec, par exemple, les parents s'entretiennent depuis peu avec un conseiller à la vaccination à la maternité, dès la naissance de l'enfant. Il s'agit d'une conversation dans un contexte neutre et respectueux. Le professionnel, formé à ce genre d'intervention, écoute les questions et y répond de façon spécifique et personnalisée, plutôt que de fournir des informations générales. Cela dit, combattre les craintes liées à la sécurité des vaccins, qui proviennent de la désinformation véhiculée sur Internet et les médias sociaux, n'a rien de facile. Par exemple, faut-il, à l'école primaire, apprendre aux enfants à distinguer une bonne d'une mauvaise information?
Comment l'Organisation mondiale de la santé peut-elle intervenir dans les pays qui ne disposent pas de services de santé adéquats?
Cette organisation finance de nombreuses interventions, notamment en Roumanie. Je m'implique, par exemple, auprès des communautés roms dans ce pays pour mieux comprendre les raisons de la couverture vaccinale moindre de ces personnes et trouver des stratégies d'intervention. La rougeole les affecte beaucoup, car ils se font moins vacciner que les autres. Pourquoi? Souvent, ils n'ont pas de carte d'assurance maladie, pas de preuve de résidence, pas d'assurance, ce qui n'aide pas les médecins généralistes à les rejoindre pour leur donner le vaccin. Certains médecins, très proactifs, envoient aux parents des messages sur les réseaux sociaux pour leur rappeler de faire vacciner leur enfant, ce qui peut aider à améliorer la situation. Il faudrait peut-être aussi avoir accès à des vaccins qui demandent moins de doses, comme il en existe pour d'autres maladies. Il y a peu de chances cependant que l'industrie pharmaceutique fasse des recherches dans ce domaine, car le vaccin sur le marché existe depuis longtemps et se vend très peu cher.