
— Marc Robitaille
Le siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica, pour lesquels Ratko Mladic a été condamné, remontent à plus de 20 ans. Comment expliquer qu'il ait fallu autant de temps avant que les victimes obtiennent justice?
Le public critique facilement la lenteur de la justice internationale, mais les délais semblent très acceptables dans le cas particulier de Ratko Mladic. Je vous rappelle que sa cavale a duré 15 ans, car l'État serbe n'a pas vraiment collaboré à son arrestation. Ce chef militaire s'était caché dans un village où les habitants lui étaient plutôt favorables. Une fois de plus, on constate que, pour attraper des criminels de guerre en fuite, il faut obtenir la convergence des États avec la justice. Cela finit toujours par arriver, mais parfois cela prend du temps. Par ailleurs, le traitement judiciaire de 5 ans dans cette affaire me semble assez raisonnable. Après tout, il a fallu examiner des dizaines de milliers de pages de documents et entendre des centaines de témoins, car il s'agissait d'un des plus hauts gradés de l'armée bosniaque. Aujourd'hui, les figures marquantes de la guerre en ex-Yougoslavie ont été jugées, même si certaines sont encore en fuite. Les tribunaux locaux, serbes ou bosniaques, s'occuperont de leur affaire lorsque ces personnes seront arrêtées.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a fermé en 2015, celui pour l'ex-Yougoslavie va suivre. Quelle institution les remplace?
Ces tribunaux internationaux avaient une durée limitée dans le temps, car ils traitaient d'un conflit spécifique. L'ONU a donc créé une institution, avec des juges et du personnel (les bureaux se trouvent à Arusha, au Rwanda, et à La Haye, aux Pays-Bas, NDLR), afin d'assurer la continuité des jugements et d'éviter le vide juridique. Grâce à elle, les personnes condamnées peuvent présenter leur appel. On peut aussi s'occuper des libérations conditionnelles des détenus et conserver les archives. Il y a également la Cour pénale internationale (CPI), qui a une vocation permanente et universelle, ainsi que des tribunaux dits hybrides, avec des éléments internationaux et nationaux. À titre d'exemple, une cour spéciale a été créée en République centrafricaine pour traiter du conflit dans ce pays. Des procureurs locaux et étrangers y travaillent ensemble. Ce type d'institution contribue à solidifier la justice nationale dans des pays qui n'ont pas toujours les moyens de juger la gravité des crimes. En outre, bien souvent, la présence de juristes internationaux ajoute de la crédibilité au processus judicaire, en plus d'assurer une meilleure visibilité à l'étranger et davantage de financement.
Que pensez-vous de l'évolution de la lutte contre l'impunité?
La justice internationale a maintenant plusieurs «bras»: la CPI, les tribunaux locaux et les cours spéciales qui interviennent sur des conflits spécifiques. Il arrive, bien sûr, que des pays contestent l'action de la CPI dans certaines affaires. La Côte d'Ivoire, par exemple, voulait juger elle-même Laurent Gbagbo, l'ancien président, ce qui lui a été refusé. Les États-Unis, de leur côté, ne voient pas d'un bon œil l'enquête qui démarre sur les crimes commis par des soldats américains en Afghanistan. Ceci dit, j'ai l'impression que le droit international avance beaucoup depuis les années 90. Désormais, il existe des règles précises concernant les crimes ainsi que des institutions pour les juger. Il s'agit de la première étape pour construire une société civilisée. Les individus ne peuvent donc plus violer les règles internationales sans conséquences. Des criminels comme Ratko Mladic ou Charles Taylor, ancien président du Libéria, purgent actuellement leur peine de prison. D'autres dictateurs vont sans doute les suivre. Bien sûr, les obstacles ne manquent pas et il faut s'assurer de la coopération des États. La légitimité et la crédibilité des institutions constituent des défis de taille.