
Peut-on vraiment revenir à un accord bilatéral avec les États-Unis?
L'accord bilatéral, l'ALE, signé entre les États-Unis et le Canada dans les années 1980, a précédé l'ALÉNA. Il pourrait donc être relancé pour desservir le marché américain. Cela dit, ce genre de déclaration, où l'on brandit la menace d'avoir recours à un autre accord commercial, arrive parfois lors de négociations. C'est une façon de se détacher des intérêts en jeu pour conserver un certain rapport de force. Autrement dit, le Canada, comme le Mexique ou les États-Unis, a tout intérêt à montrer qu'il existe d'autres solutions que l'ALÉNA pour faire du commerce. Cependant, il serait très étonnant que l'accord bilatéral soit bel et bien réactivé. En effet, l'ALÉNA va beaucoup plus loin que l'ALE en matière d'intégration économique. On y retrouve notamment des chapitres sur la propriété intellectuelle, un autre sur l'investissement, une libéralisation accrue des services ainsi qu'un mécanisme de règlements des différends assez solide. Le Canada ne veut donc pas revenir à un accord rudimentaire. Il souhaite, au contraire, mettre à jour l'ALÉNA en utilisant les avancées d'un accord comme le Partenariat transpacifique (PTP) (il s'agit d'un accord qui fut signé en 2015 par 12 pays d'Amérique et de la région Asie-Pacifique – représentant à eux seuls 40% de l'économie mondiale – et dont les États-Unis se sont retirés en janvier dernier, NDLR).
Qu'apporte de plus cet accord par rapport à l'ALÉNA actuel?
Une des grandes avancées du Partenariat transpacifique a été d'inclure, dès le départ, des chapitres sur l'environnement et le droit du travail. Aucun autre accord commercial dans le monde ne va aussi loin. Ces dispositions permettent à un des pays signataires d'obliger ses partenaires à respecter leurs obligations environnementales ou celles relatives au droit des travailleurs en ayant recours au mécanisme de règlement des différends. À tire d'exemple, certaines dispositions du PTP visent à limiter les subventions accordées aux pêcheries afin d'éviter la surpêche. Par contre, cet accord présente certaines contraintes pour le Canada, notamment en matière de propriété intellectuelle. Lors de chaque négociation commerciale, qu'il s'agisse de l'ALE, de l'ALÉNA ou du PTP, les États-Unis demandent systématiquement une augmentation des droits reliés aux brevets pharmaceutiques et aux droits d'auteurs sur les produits artistiques et culturels. Pour le Canada, ce rehaussement de la propriété intellectuelle entraîne une hausse des prix, non seulement pour les consommateurs, mais également pour les finances publiques. En effet, un bon nombre des médicaments les plus chers, conçus aux États-Unis, sont achetés par les hôpitaux. Il s'agit d'une demande américaine qui passe relativement inaperçue. Elle a pourtant des conséquences économiques tout aussi importantes que les restrictions au commerce du bois d'œuvre ou l'affaiblissement du système de gestion de l'offre en agriculture.
Que cherche le Canada dans les négociations actuelles autour de l'ALÉNA?
Le Canada souhaite améliorer l'ALÉNA actuel, le moderniser. L'approche adoptée par les négociateurs m'impressionne. Ils prennent soin de ne pas «réagir à chaud» à chaque déclaration fracassante de Donald Trump, en gardant le cap sur leurs objectifs. Ils parlent d'une seule voix et mobilisent continuellement leurs alliés américains. Pour autant, l'équipe canadienne ne reste pas passive à la table des négociations. Elle fait des demandes en matière d'égalité des genres et en faveur des communautés autochtones. Cela lui permet de se positionner en faveur d'un accord commercial progressiste, qui ne favorise pas seulement les grandes entreprises multinationales. La stratégie canadienne consiste également à évoquer à bon escient l'existence d'accords potentiels avec d'autres partenaires. Imaginons que, en plus de l'accord déjà signé avec les Européens, le Canada conclue un Partenariat transpacifique sans les États-Unis et un autre accord avec la Chine; cela positionnerait le pays comme un joueur central. C'est une façon de montrer que le Canada dispose d'autres possibilités, qu'il n'a pas les mains liées devant son partenaire américain.