Depuis la fin février, à la tombée du jour, les boisés du centre du campus sont le théâtre de scènes qui ne sont pas sans rappeler le film Les oiseaux d'Alfred Hitchcock. Premier acte: en fin d'après-midi, quelques corneilles se perchent au sommet d'arbres situés près des pavillons Jean-Charles-Bonenfant ou Louis-Jacques-Casault, d'où elles semblent contempler paisiblement le coucher du soleil. Deuxième acte: dans l'heure qui suit, d'autres corneilles arrivent au compte-goutte et se joignent aux premières arrivantes. À mesure que leur nombre grandit, une fébrilité palpable monte dans l'air. Troisième acte: aux dernières lueurs du jour, des nuées de corneilles venant de toutes les directions fendent le ciel et se rabattent sur les boisés, tournoyant de façon désordonnée au-dessus des arbres dans une clameur assourdissante. Quatrième acte: la nuit venue, toutes les corneilles, soudain silencieuses, se rassemblent dans quelques arbres.
«Il s'agit sans doute d'un dortoir de corneilles d'Amérique en migration, avance André Desrochers, spécialiste en ornithologie et professeur au Département des sciences du bois et de la forêt. La corneille n'est pas un oiseau colonial, mais comme plusieurs espèces de la famille des corvidés, elle forme des attroupements pendant la nuit lors des migrations.»
Sur le campus, c'est par centaines que les corneilles se rassemblent dans des feuillus dénudés. Après leurs bruyants 5 à 7, elles vont sans doute poursuivre la soirée et la nuit dans des conifères ou de grands arbres qui leur servent d'abri, croit le professeur Desrochers. La fonction exacte de ces attroupements nocturnes demeure un mystère, mais la quête de nourriture ne serait pas en cause. «Ces rassemblements constitueraient plutôt une stratégie pour réduire le risque de prédation, suggère l'ornithologue. Une corneille représente un bon repas pour un grand duc ou une chouette rayée, et les risques d'être victimes de ces prédateurs sont plus faibles dans un groupe. Une autre hypothèse est que ces dortoirs servent de centres d'information pour les corneilles, qui s'y rendent pour échanger sur leurs bons coups de la journée. Il se peut aussi qu'elles profitent de l'occasion pour rencontrer un partenaire sexuel.»
La composition du groupe qui fréquente le dortoir fluctue sans doute légèrement d'une nuit à l'autre, poursuit le professeur Desrochers. «Certaines corneilles pourraient y séjourner plusieurs nuits d'affilée. Le matin, elles partent chercher leur nourriture dans le secteur et elles rentrent au dortoir en fin de journée. Lorsque les conditions climatiques sont favorables, elles reprennent leur migration et le dortoir est peu à peu déserté.»
Il y a d'autres lieux de rassemblement nocturne de cette espèce dans la région et leur localisation n'est pas immuable dans le temps. D'ailleurs, s'il existait un dortoir sur le campus avant 2010, il n'avait pas l'ampleur qu'il a aujourd'hui. Les raisons pour lesquelles il a gagné en popularité sont nébuleuses. «Le campus occupe peut-être une position centrale par rapport aux ressources alimentaires recherchées par les corneilles, avance André Desrochers. Ou bien, il s'agit tout simplement d'une question d'attraction conspécifique. Les corneilles viennent sur le campus parce qu'elles trouvent ici d'autres corneilles. Chez ces oiseaux, l'existence d'un dortoir à l'Université Laval s'est peut-être propagée comme une légende urbaine ou une nouvelle virale.»