
Aaron Liu-Rosenbaum: Le service Internet est moins rapide et plus cher ici qu'aux États-Unis, autant d'éléments qui freinent la diffusion numérique de la musique.
Comment expliquer le retard que semble accuser le Québec?
Je pense qu'il faut considérer les différentes phases de développement de la progression des ventes, sans se limiter aux résultats année après année. Par exemple, de 2002 à 2004, il y a eu une relative croissance dans ce domaine, puis un déclin de 2005 à 2008, avant de remonter légèrement. Il faut prendre conscience que le Québec n'a pas encore développé son marché numérique autant que d'autres pays, puisqu'il s'établit ici à environ 27% contre 40% environ aux États-Unis. C'est un processus encore en développement en partie à cause de certains facteurs techniques. La diffusion numérique ne se limite pas à la vente de fichiers sur les sites Web. On assiste actuellement à une véritable explosion de la diffusion, que ce soit avec les radios satellites, l'écoute en diffusion continue à partir de sites auxquels on s'abonne. Or, le Canada a un des taux de pénétration du sans-fil parmi les plus faibles des pays de l'OCDE. Par conséquent, cela limite l'audience en diffusion continue. Comme Américain, installé depuis quelques années au Québec, je constate aussi que le service Internet est moins développé ici qu'aux États-Unis. C'est d'ailleurs moins rapide et plus cher. Autant d'éléments qui freinent la diffusion numérique de la musique.
Peut-on vivre de sa musique au Québec alors que le public se tourne de plus en plus vers les téléchargements gratuits?
La création et la diffusion musicales connaissent une véritable démocratisation. On peut enregistrer un album sans aller dans un studio professionnel, en le montant, en l'éditant chez soi avec un logiciel de code source ouvert, puis en vendant les fichiers en ligne. Je viens d'enregistrer un album avec l'Ensemble Lagoya, un duo d'accordéon et de guitare classique, qui a réussi à trouver sa niche en vendant sa musique sur un site Web et en se produisant en spectacle. D'autres artistes se regroupent. À Québec, certains ont ouvert un espace de diffusion, le complexe coopératif Pantoum, sur la rue Saint-Vallier dans le quartier Saint-Sauveur. Ils accueillent des prestations de musiciens et enregistrent des albums qui sont vendus ensuite sur leur site. Des centres d'artistes en art audio, comme Avatar, permettent aussi d'accroître la diffusion numérique grâce à des événements comme le Mois Multi. Je pense que si les services Internet se développaient davantage, cela permettrait de créer plus de compagnies audionumériques qui diffuseraient de la musique. Les commerçants pourraient aussi mieux utiliser le commerce en ligne pour élargir leur clientèle. Contrairement à des villes comme New York, par exemple, peu de boutiques au Québec possèdent une interface pour vendre sur Internet.
Pensez-vous que la création musicale québécoise se distingue?
Je suis très impressionné par la vie musicale au Québec. Les racines irlandaises, françaises, anglaises constituent une très riche source d'inspiration et finissent par donner une unité organique à cette musique. Par exemple, on entend davantage ici des instruments comme l'accordéon, souvent associé à la musique folk en Europe. Les paroles, la poésie occupent aussi une place importante dans la création musicale, une influence, je pense, provenant de la chanson française, mais aussi de chanteurs folk comme Bob Dylan. La musique québécoise a une voix unique selon moi, et elle doit trouver sa place dans le marché mondial. Mes étudiants font une musique très intéressante, que ce soit de la musique rock indépendante ou autre. Par contre, je constate qu'au Québec il existe très peu de programmes pour apprendre la réalisation et l'enregistrement audionumériques comparativement aux États-Unis. Cela constitue donc une barrière pour les jeunes musiciens. Dans le cadre de notre certificat, nous utilisons notamment les installations du Laboratoire des nouvelles technologies de l'image, du son et de la scène (LANTISS). Actuellement, ce programme ne dure qu'un an, mais je pense que nous pourrions le bonifier en baccalauréat, en maîtrise et en doctorat.