
Caroline Desbiens : «Il s'agit d'une violence systématique et cela devient donc un problème de société qui devrait tous nous toucher, même si l'on n'est pas autochtone».
Qu'apporterait une commission d'enquête nationale pour régler la question de la violence faite aux femmes autochtones?
C'est très délicat. Beaucoup d'organisations autochtones voient le rapport de la Commission parlementaire qui a fini ses audiences comme un document de plus qui va rester sur les tablettes et qui ne servira pas à grand-chose. Elles souhaitent plutôt que le travail se fasse dans les communautés, afin qu'il y ait des interventions concrètes auprès des femmes et des enfants victimes de violence et une plus grande sensibilisation envers cette question. Les gens réclament aussi que cela devienne une priorité pour le gouvernement. Par ailleurs, il est indispensable d'avoir une réflexion collective sur la violence envers les femmes autochtones. Il s'agit d'une violence systématique et cela devient donc un problème de société qui devrait tous nous toucher, même si l'on n'est pas autochtone. Une enquête nationale forcerait une réflexion collective sur une violence qui découle en bonne partie de l'histoire du Québec et du Canada, que l'on pense à la dépossession territoriale des Autochtones, aux pensionnats, aux tentatives d'assimilation. Tous ces éléments se conjuguent pour produire un niveau de violence élevée et des difficultés sociales dans les communautés. Ce que subissent les femmes n'est que la pointe visible de l'iceberg.
Comment expliquer que les différents corps de police aient pu ignorer un nombre aussi important de femmes autochtones disparues ou tuées au fil des ans?
Souvent, les familles des femmes disparues n'ont pas confiance dans la police, car les cas rapportés ne sont pas traités avec toute l'urgence qu'ils méritent. Un travail énorme reste à faire pour s'assurer que les dossiers des femmes concernées soient vraiment pris en charge. Jusqu'à présent, on a l'impression que leur traitement tombe un peu entre les craques du plancher, particulièrement lorsqu'il s'agit de prostituées. Cela n'a rien à voir, par exemple, avec les moyens déployés dans le cas d'un enfant disparu. L'histoire récente de Loretta Sanders a particulièrement secoué les gens parce qu'elle brise les stéréotypes sur les femmes autochtones assassinées. Il s'agit d'une étudiante de 26 ans du Labrador d'origine inuite, blonde aux yeux bleus, qui a disparu le 13 février à Halifax, retrouvée morte deux semaines plus tard. L'absurdité de la situation, c'est que cette victime d'un assassinat préparait justement un mémoire sur la disparition des femmes autochtones au Canada. On a trouvé son corps juste avant que la commission parlementaire ne rende son rapport, un rapport qui ne recommandait pas une enquête nationale sur les disparitions. Devant tant d'inaction, les gens se sont mobilisés, notamment en érigeant des barricades.
Qu'est-ce qui pourrait inciter le gouvernement canadien à changer d'avis sur cette question?
Face à un nombre aussi élevé de femmes disparues ou assassinées, on parle de 800 personnes sur 30 ans, et une négligence aussi systématique dans le traitement des dossiers, on se demande bien ce que cela prend de plus pour faire bouger le gouvernement. Je suis perplexe de voir que le ministre de la Justice ne saisisse pas l'occasion, en particulier depuis l'assassinat de la jeune étudiante, pour poser des gestes concrets pour lutter contre cette violence. Déjà, plusieurs rapports de l'ONU ont demandé au gouvernement d'agir dans ce dossier. Il faut rappeler que cela a pris plusieurs années au Canada sous Stephen Harper pour signer la Déclaration internationale des droits des peuples autochtones. Et que, d'une façon générale, le gouvernement n'est pas très impressionné par les pressions exercées par les organismes internationaux des droits de la personne. Il faut cependant prendre conscience des répercussions majeures de la disparition et du meurtre de ces femmes sur des communautés autochtones déjà très fragilisées. On a une responsabilité collective comme nation à s'occuper de ce dossier-là qui ne semble pas émouvoir le gouvernement canadien...