
Conrad Cloutier, professeur au Département de biologie: «le sort des beaux monarques suscite beaucoup de sympathie et d'attention, mais beaucoup d'autres espèces d'insectes subissent les contrecoups de la disparition des mauvaises herbes».
Comment expliquer cette chute spectaculaire?
Il est très difficile d'estimer les populations de monarques, dont les chiffres viennent d'organismes au Mexique qui les observe à l'hivernement depuis une vingtaine d'années, car on ignore la marge d'erreur de ce comptage. Personnellement, je suis ce papillon ici, au Québec, depuis quelques années. À titre d'exemple, je n'en ai pas vu un seul sur les rives du Saint-Laurent, à Saint-Vallier de Bellechasse, l'été dernier. Les causes des fluctuations du monarque semblent assez diverses. Certains attribuent ces baisses actuelles à l'usage de plantes transgéniques, en particulier le maïs, dans des zones d'agriculture intensive comme le Corn Belt, aux États-Unis. Il faut savoir en effet que le monarque se reproduit sur une plante, l'asclépiade, au sud des États-Unis, après avoir quitté le Mexique. La femelle pond une centaine d'oeufs sur cette plante considérée comme une mauvaise herbe qui pousse dans les champs et sur les bords de route. Les larves ne se nourrissent de rien d'autre. Or, depuis dix ans, les producteurs de maïs répandent beaucoup d'herbicide comme le glyphosate, car le maïs transgénique de Monsanto résiste au produit. Le jeune plant survit donc dans le champ, mais pas l'asclépiade qui est, pendant près d'un mois, la seule source d'alimentation de la larve de monarque. D'autre part, le déclin de ce papillon s'explique peut-être aussi par des raisons climatiques car, depuis quelques années, le climat n'est pas favorable à sa reproduction. Le printemps et l'été 2012 ont été trop secs, puis trop humides l'année suivante.
Quelles pourraient être les conséquences de la disparition du monarque?
Il faut savoir que ce papillon se trouve dans plusieurs autres régions du monde, même si c'est seulement ici en Amérique du Nord que l'on assiste à sa migration phénoménale. Peut-être que ce comportement migrateur va disparaître, mais cela ne signifie pas la fin de l'espèce, d'autant plus qu'il en existerait encore une trentaine de millions d'individus au Mexique. Très peu d'individus parviennent jusqu'au Québec, dans la vallée du Saint-Laurent, sans doute la limite nordique du monarque. Dans les faits, c'est plutôt un pollinisateur secondaire pour les plantes cultivées surtout ici au Québec et au Canada, contrairement à l'abeille à miel, dont la baisse des populations se fait beaucoup plus sentir sur l'agriculture. Le monarque ne figure même pas sur la liste des espèces menacées à protéger. La fondation David Suzuki, qui s'intéresse à la survie du monarque, suggère pour sa part de bannir l'asclépiade de la liste des mauvaises herbes, et même de la protéger. Cela pourrait encourager les populations de monarque qui disposeraient de nourriture pour ses larves. En fait, au fil des années, le monarque est surtout devenu un symbole de l'équilibre de la nature pour les environnementalistes ou les entreprises qui veulent se donner une image verte.
Bref, le monarque est devenu un symbole pour la cause environnementale planétaire?
Tous les gens pronature, sensibilisés à l'environnement par des phénomènes comme la migration du monarque, vont crier au désastre face à la baisse des populations, car ce phénomène est devenu très symbolique. Les enfants d'école élèvent des monarques, des gens s'initient à la connaissance de la nature par ce papillon. Si les grandes migrations de monarques disparaissent, cela va avoir des conséquences sur l'impression qu'on a de la qualité de l'environnement et de l'intensification de l'agriculture. Pourtant, l'arrivée de plantes transgéniques a changé la donne depuis les 15 dernières années, en permettant l'augmentation de la productivité, et certains voient d'un très mauvais oeil cette industrie. Il faut prendre conscience des conséquences de la disparition des mauvaises herbes, graminées ou à feuilles larges, pour les autres insectes herbivores. La punaise de l'asclépiade subit d'ailleurs le même sort que le monarque avec l'usage intensif d'herbicide. Elle faisait également des migrations, mais personne n'en parle, alors que le sort des beaux papillons orange et noirs suscite beaucoup de sympathie et d'attention!