«De 1981 à 2011, près de 2 300 attentats-suicides auraient été commis à travers le monde selon les chercheurs du Chicago Project on Security and Terrorism, explique la doctorante en science politique, Johanna Massé. Sur ce total, 125 auraient été perpétrés par des femmes, soit 5% de l’ensemble.» Le 24 octobre au pavillon Charles-De Koninck, Johanna Massé a fait une communication sur les femmes kamikazes lors du Colloque de la recherche étudiante en science politique 2013.
D’Al-Qaïda aux rebelles tchétchènes, des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa aux Tigres de libération de l’Îlam tamoul, du Hezbollah au Parti des travailleurs du Kurdistan, plusieurs groupes terroristes ont recours à des femmes kamikazes dans leur lutte contre un ennemi beaucoup plus puissant qu’eux. «Célibataires, mariées ou divorcées, les candidates ont à peu près tous les profils, indique l’étudiante. Elles sont généralement jeunes, mais certaines étaient dans la cinquantaine comme on l’a vu en Tchétchénie. La plupart du temps ces femmes font partie de la classe moyenne et ont un niveau d’instruction supérieur à la moyenne.»
Les chercheurs ont du mal à cerner les motivations qui conduisent un individu, homme ou femme, à se radicaliser au point de faire le sacrifice de sa vie par un geste d’une extrême violence. «Il y a certainement un aspect émotionnel fort», affirme Johanna Massé. Le fait de voir une armée étrangère occuper notre pays peut entraîner un sentiment de dépossession, à la fois du territoire national et de son identité. Sur le plan familial, une femme qui a vu son frère, son père ou son mari tomber sous les balles ennemies peut être animée d’un fort sentiment de vengeance ou de désespoir. «La plupart des femmes kamikazes ne sont pas uniquement motivées par la religion, dit-elle. D’ailleurs, nombre d’entre elles sont laïques.»
Le cas de Reem Riyashi est particulièrement troublant. Le 14 janvier 2004, cette Palestinienne de 22 ans a activé sa ceinture d’explosifs au poste-frontière d’Erez, entre Israël et la bande de Gaza. Elle était mariée et avait deux enfants. Quatre Israéliens ont perdu la vie dans l’attentat.
Certains auteurs ont mis de l’avant le fait que les femmes sont très vulnérables dans des sociétés patriarcales comme celles du Proche-Orient où prévaut une tradition d’honneur et de vengeance.
Selon Johanna Massé, les femmes kamikazes représentent un atout pour les groupes terroristes. Des vêtements traditionnels, comme le voile intégral, permettent de cacher plus facilement la ceinture d’explosifs. D’ailleurs, à cause de cela, les organisations terroristes palestiniennes conseillent aux kamikazes de s’habiller de la manière la plus occidentale possible afin de ne pas éveiller les soupçons. «Parce que les femmes paraissent moins suspectes que les hommes aux contrôles de sécurité, on leur porte moins d’attention, on les fouille moins et elles passent plus facilement, soutient-elle. Elles s’avèrent d’autant plus meurtrières.»
La présence de femmes dans les organisations terroristes suscite beaucoup de débats internes. Al-Qaïda, par exemple, est très prudente sur cette question. En 2008, l’organisation a déclaré que les femmes n’avaient pas leur place dans un groupe terroriste. Plusieurs organisations cantonnent les femmes dans des rôles de soutien, tels que responsables de la logistique, de l’idéologie ou du recrutement.
Quant au modus operandi, il demeure le même, que l’on soit un homme ou une femme kamikaze. «C’est devenu très rapide, explique Johanna Massé. Le ou la kamikaze est mis au courant 24 heures avant la mission-suicide. On ne lui dit pas qui va lui fournir les explosifs ni qui le conduira à sa cible. Ces organisations sont compartimentées pour assurer leur survie.»