
Vincent Guillot, activiste intersexué de France: «Nous n'avons pas le droit de dire ce que l'on ne nous a pas dit que nous étions».
Il ne faut pas confondre les intersexués avec les transsexuels – qui ont le sentiment de ne pas appartenir à leur sexe biologique ou encore qui ont changé de sexe – ni aux transgenres, dont l’identité psychique et sociale reliée aux concepts d’homme et de femme entre en conflit avec leur sexe biologique. Comme les gais, les lesbiennes et d’autres groupes marginaux l’ont fait, les intersexués revendiquent leur droit à la différence et veulent exister à part entière, même si leur corps n’est pas sexuellement conforme aux normes de notre société.
«On ne peut pas encore parler de mouvement social, mais c’est certainement une mouvance», affirme Lucie Gosselin, qui a consacré son mémoire de maîtrise en anthropologie à la réalité des personnes intersexuées. La chercheuse a étudié plus précisément le sens que ces gens donnent aux expériences vécues concernant leur corps. Elle a rencontré plusieurs militants au Québec et en Europe, notamment lors de la Conférence internationale sur les droits humains LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres) qui s’est déroulée en 2006 à Montréal, et aussi lors des premières universités d’été des intersexes et intergenres qui ont eu lieu la même année à Paris. Elle a également mené des entrevues en profondeur avec deux personnes intersexuées, opérées à la naissance et donc forcées de vivre avec une identité sexuelle qu’elles n’avaient pas choisie.
Des anomalies à corriger
Parmi les critères retenus pour déterminer le sexe d’un bébé né avec des organes génitaux dits ambigus figurent les gonades (ovaires ou testicules), les chromosomes, les hormones, les organes génitaux extérieurs, etc. Pour la majorité des médecins, l’intersexualité est une anomalie du développement sexuel à corriger. Tout dépendant des caractéristiques physiologiques de l’enfant, les médecins décident d’en faire un homme ou une femme. Certains enfants peuvent même subir plusieurs chirurgies correctives.
«Pour montrer la façon dont sont prises les décisions de faire subir ou non des interventions chirurgicales aux bébés intersexués, une militante intersexuée américaine, Kiria Treia, a créé il y a une quinzaine d’années un instrument de mesure, le «Phall-O-Meter», explique Lucie Gosselin. Il s’agit d’une petite règle à utiliser dans les cas où l’organe génital qui se présente à la vue semble trop petit pour être un pénis, mais trop grand pour être un clitoris. Si la longueur de l’organe est plus petite que 0,9 cm, on la considère acceptable pour un clitoris et le bébé est classé comme une fille. Par contre, s’il mesure plus de 2,5 cm, cela est considéré acceptable pour un pénis et le bébé est assigné garçon.»
Honte, dissimulation et mensonge
Seulement voilà; la sexualité d’une personne ne se limite pas aux organes génitaux. Le cerveau aussi a un sexe. Par exemple, Rita, intersexuée née fille mais assignée garçon, a expliqué à Lucie Gosselin qu’elle s’est toujours sentie mal à l’aise dans son corps d’homme. À l’adolescence, ses parents la forcent à prendre de la testostérone pour rendre son corps plus masculin. Rita, elle, a toujours su qu’elle était une femme, dans sa tête et dans son corps. Ayant fait un parcours de transsexualisation pour féminiser son corps par la suite, elle porte encore les stigmates physiques et psychiques de ce corps qu’on lui a imposé.
En plus d’être dépossédées de leur corps, ces personnes sont confrontées à ce que Lucie Gosselin nomme «le paradigme intersexe du secret», c’est-à-dire le fait de «ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions», selon la phrase de Vincent Guillot, militant intersexué français. Elles apprennent très tôt la honte, la dissimulation et le mensonge.
Les personnes intersexuées vivent beaucoup de difficultés, mais leur principal problème n’est pas d’avoir un corps différent. «C’est d’abord le regard qu’on pose sur elles qui fait mal, soutient ainsi Lucie Gosselin. Elles veulent d’abord et avant tout être considérées dans leur pleine humanité, comme tout le monde.» Depuis 25 ans, des militants demandent qu’on cesse d’opérer les enfants à la naissance et qu’on laisse la personne choisir son identité sexuelle. D’autres revendiquent le droit de garder ce corps non sexuellement conforme qui est le leur.