
— Marc Robitaille
Q À qui profitent les guignolées des médias et des campagnes comme celle de Centraide? Aux plus démunis, aux médias ou aux vedettes?
R Lorsqu’on s’implique socialement, on en retire toujours quelque chose, ne serait-ce que le fait de se réaliser, d’avoir fait quelque chose d’utile. Les lots qui permettent d’aller souper avec un journaliste connu pour 1 500 $ ou 200 $ sont relativement récents, mais cela fait penser aux encans qui relèvent du même procédé. On recueille de beaux objets et on les met aux enchères. Pour toucher le public, faire appel à des vedettes constitue aujourd’hui un moyen inévitable. La société a changé depuis les années 1960 ou 1970, où certains personnages hauts en couleur attiraient l’attention de l’auditoire sur la pauvreté. On avait alors des projets politiques proches de la social-démocratie, portés par des politiciens comme René Lévesque ou Pierre Elliot Trudeau. Aujourd’hui, ce genre de projet est plus marginal. Reste que les campagnes actuelles utilisent des moyens éthiquement acceptables pour recueillir des dons. On n’est quand même pas dans la prostitution! J’aimerais par contre que les médias parlent davantage de pauvreté le reste de l’année. Qu’ils fassent des dossiers sur des programmes sociaux, sur des dynamiques qui ont provoqué les crises financières. Il faudrait varier les moyens de parler de la pauvreté.
Q Pourquoi a-t-on encore besoin de recourir aux guignolées au 21e siècle alors qu’on dispose de politiques sociales?
R Ces politiques se concentrent surtout sur l’éducation et la santé, et un peu sur le logement. Par contre, l’État ne s’est jamais impliqué dans l’alimentation comme besoin essentiel. C’est donc le domaine du privé. Par ailleurs, on fait face à un problème de redistribution économique. L’OCDE vient de publier un rapport sur la pauvreté qui montre que, sur la planète, y compris au Canada et dans les pays développés, l’écart entre les revenus les plus bas et les revenus les plus élevés s’accroît. Les nouvelles technologies ont profité aux salariés les mieux formés, alors qu’une partie du marché du travail est plus précaire. Des salariés ont recours à des banques alimentaires, y compris à Noël. Il faudrait réformer de façon importante les politiques sociales, même si aucun gouvernement ne risque de le faire. Par exemple, la mise en place d’une allocation universelle offerte à ceux qui font du bénévolat, à ceux qui travaillent, à ceux qui vont à l’école, a déjà été expérimentée aux États-Unis et au Canada dans les années 1970. Ces projets pilotes ont permis de constater une plus grande persévérance scolaire, une réduction des hospitalisations grâce à la diminution du stress lié à la précarité. Les gouvernements ont oublié ces mesures par manque de courage politique. Aujourd’hui, cela prendrait de très grosses vedettes pour en faire la promotion!
Q L’État a donc un rôle à jouer pour réduire les inégalités sociales?
R Bien sûr. Il faut se rappeler aussi des effets de certaines réformes fiscales. En 1998, on a ramené les différents paliers d’impôt qui variaient de 13 % à 26 % à trois paliers, 20 %, 23 %, 26 %. Autrement dit, tout le monde paie au moins 20 % d’impôts pour la tranche la plus basse alors qu’avant on pouvait descendre jusqu’à 13 %. Il faudrait donc s’attaquer à ce problème, ou revoir certaines taxations sur les biens de grande valeur ou les redevances minières, par exemple. On doit rendre l’impôt plus progressif, mais aussi faire en sorte que les gens qui vont aux études ou qui ont un projet de formation ne soient pas pénalisés. Comme l’État ne peut pas tout faire, on doit développer dans les communautés des mécanismes d’échanges de service, des installations collectives comme des garderies plutôt que d’envoyer des chèques individuels comme le fait le gouvernement conservateur.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas