
Q Qu’apporte de nouveau ou de différent le mouvement Occupons comparativement aux causes déjà défendues par la gauche québécoise, comme la lutte contre la pauvreté et la critique du néolibéralisme?
R Il faut élargir le contexte de ce mouvement très nord-américain et un peu européen avec ses pages Web et son discours très cohérents. C’est avant tout un mouvement d’occupation, dans la même famille que le Printemps arabe, mais qui s’inscrit dans un mouvement plus large depuis les années 1970. Depuis que le néolibéralisme est celui que l’on connaît, il y a des mouvements d’occupation dans le monde. Quelques exemples: les émeutes du FMI au Caire, à Abidjan, en Amérique latine, ensuite les piqueteros en Argentine, les sans-terre au Brésil, puis les sommets comme le Sommet des Amériques en 2001 à Québec. Le mouvement actuel provient de celui du 17 septembre à New York, mais il appartient aussi à un mouvement d’occupation continuel contre le néolibéralisme: des êtres humains occupent un lieu public contre le néolibéralisme. De plus, en ce moment, il y a une proximité avec d’autres mouvements ailleurs. On a déjà connu ce genre de chose au Québec lors de la guerre d’Algérie, lorsque le mouvement d’indépendance québécois se sentait proche du FLN ou de la lutte des Black Panthers américains. Ce sens du contexte est extrêmement important, même s’il dépasse de beaucoup ce qui peut être porté par une organisation politique.
Q Quelle est la force d’action d’un mouvement qui fonctionne par consensus et ne s’appuie que sur quelques slogans communs?
R Les militants ont souvent l’angoisse qu’il faut quelque chose pour organiser leur manifestation, la pérenniser, lui donner une cohérence. Pourtant, empiriquement, ce n’est pas vrai. Les mouvements qui ne sont pas fédérés politiquement ne durent pas, mais ils réapparaissent toujours depuis le début du 19e siècle. Lors du Sommet des Amériques, en avril 2001, on a dit: «La gauche altermondialiste s’installe à Québec, puis trois jours après, elle disparaît». C’est faux. C’étaient les mêmes militants qui étaient pour les logements sociaux, qui ont fondé le bar-coopérative L’AgitéE. Il s’agit de la même gauche; la continuité est dans le mouvement. La force d’Occupons est celle d’un mouvement en train de se constituer. Lorsqu’on regarde dans le passé, on constate d’ailleurs que les seules victoires de la gauche sont venues de ces mouvements-là. Le grand mouvement internationaliste au 19e siècle a fini par se donner une cohérence après dix ans, en ciblant ses demandes autour de la journée de travail. On est passé d’une durée indéfinie de travail quotidien à une journée de 10 heures, puis de 8 heures. C’était un mouvement transnational, avec des groupes de femmes, des gens non syndiqués, un mouvement pas organisé, qui ressemble à ce qu’on en voit en ce moment. «Occupons» peut donc avoir un grand impact.
Q Que pensez-vous de l’attitude des autorités face à ces campements en pleine ville?
R Cela varie beaucoup. Le conseil municipal de la ville de Victoria, par exemple, a adopté une motion reconnaissant que les endroits publics sont publics par définition. Donc, on a le droit de les occuper, et les questions de sécurité ne pourront pas servir de prétexte pour évincer les occupants. Il faudra voir comment cela évolue là-bas. Il n’y a pas de grandes politiques précises face à ce type de mouvement. Lorsque le consensus aura bougé ailleurs, que les Occupons seront évincés d’autres villes, cela se fera aussi à Québec. Si, par contre, d’autres campements s’installent, cela durera plus longtemps, et ça dépendra également du froid. Une chose est sûre, si la Ville de Québec met fin à Occupons, ce sera sous un prétexte, car le néolibéralisme n’annonce pas ses valeurs; il n’ose pas se dire.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas