Cinq ans plus tard, la situation n'est guère plus rose, mais il y a de la lumière au bout du tunnel. Les études menées par Steeve Côté et son équipe du Département de biologie, dont les résultats ont été présentés lors du Colloque international sur les relations cerf-forêt qui s'est déroulé du 17 au 22 août, laissent entrevoir un mode de gestion original pour arbitrer les délicats rapports entre les sapinières et les cerfs sur Anticosti.
Rien n'est encore joué, prévient toutefois le professeur Côté. Les sapinières matures ont commencé à tomber, ce qui crée momentanément un nouvel apport de nourriture pendant la difficile saison hivernale, mais la bombance tire à sa fin. Quant à la population de cerfs, il est difficile d'y accoler un nombre. «Le taux de croissance est variable, mais nous savons que la population n'est pas en déclin. À plus long terme, on ne sait toujours pas ce qui va se produire.»
En vertu du plan de gestion de l’île, Produits forestiers Anticosti doit régénérer en sapinières les sites où il y a prélèvement de bois. Pour y arriver, la compagnie installe des clôtures pour protéger les plantations de jeunes sapins contre le broutage des cerfs. Au départ, 275 km de clôtures ont été érigées autour des parterres de coupe; de 30 à 40 km s'y ajoutent chaque année. Pour réduire la pression de broutage à l'intérieur des enclos, la densité de cerfs, qui est en moyenne de 20 têtes/km2 sur l'île, est ramenée à 3 cerfs/km2 grâce à la chasse sportive. «Une répercussion inattendue de cette intervention est que les cerfs qui se trouvent à l'intérieur des enclos jouissent de bonnes conditions et deviennent plus gros, ce qui suscite l'intérêt des chasseurs à l'affût de trophées», souligne Steeve Côté.
Une expertise originale
Initialement, les clôtures devaient être enlevées 10 ans après la plantation des semis; on pensait que les sapins seraient alors assez grands pour échapper aux cerfs. «Nous avons réalisé que c'était souvent trop tôt, dit le chercheur. Il est préférable d'attendre que les sapins aient de 13 et 15 ans.» Cette méthode de régénération entraîne des coûts importants, reconnaît le professeur, mais le mandat premier de la compagnie forestière est de créer de l'habitat pour le cerf en favorisant le retour du sapin. «Cette approche, unique en Amérique du Nord, nous a permis de développer une expertise originale, transposable à d'autres régions où il y a surabondance de cervidés.»
L'une des principales retombées des travaux de la chaire a été d'établir la densité optimale de cerfs sur Anticosti. «En vertu d'études menées aux États-Unis, on croyait qu'elle se situait à 7 cerfs/km2. Nos travaux indiquent qu'elle serait plutôt de 15 cerfs/km2. Sur Anticosti, l'habitat d'été est productif. C'est l'habitat d'hiver qui est problématique.»
La gestion de l'habitat à l'aide d'enclos donne des résultats encourageants, mais il reste toutefois une question importante en suspens. Comment l'écosystème réagira-t-il lorsque les clôtures seront enlevées et que cerfs et sapins seront livrés les uns aux autres? C'est à cette question qu'espère répondre l'équipe de la chaire au cours des cinq prochaines années. Un projet en ce sens a été déposé au CRSNG avec l'appui de Produits forestiers Anticosti, mais aussi de Petrolia, une société qui effectue de l'exploration d'hydrocarbures sur l'île, et des pourvoyeurs Safari Anticosti et Sépaq Anticosti. Une réponse sur le financement du projet est attendue d'ici la fin septembre.
Depuis 2006, 13 étudiants-chercheurs ont obtenu une maîtrise ou un doctorat en participant aux travaux de la chaire. Il y en aura autant au cours des cinq prochaines années, si le projet est renouvelé. «Nos recherches ont une dimension pratique importante, souligne Steeve Côté, mais elles comportent aussi un volet fondamental. Cette approche est profitable aux étudiants parce qu'ils peuvent réaliser des travaux pour lesquels le financement serait difficile à trouver autrement, tout en ayant la chance d'acquérir des connaissances pratiques et théoriques.»