
À l'ère de l'infographie, les artistes et les ingénieurs qui créent des avatars pour les jeux vidéo ou pour le cinéma ont bien compris que l'apparence de la peau joue un rôle crucial quant à réception d'un personnage par le spectateur.
— 20 TH CENTURY FOX
Ce genre de détail est évidemment connu des artistes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’évolution de la représentation humaine dans l’histoire de la peinture. Prenons par exemple un personnage peint par Giotto et un autre par Rubens. Le premier, qui s’applique à recréer le volume plutôt que la surface, propose un personnage au teint pâle et à l’air maladif, alors que le second, qui s’attache au réalisme des couleurs de la carnation, nous montre un personnage bien en chair, par la seule magie du pinceau. À l’ère de l’infographie, les artistes et les ingénieurs qui créent des avatars pour les jeux vidéo ou pour le cinéma ont aussi bien compris que l’apparence de la peau joue un rôle crucial quant à réception d’un personnage par le spectateur.»
«L’inquiétante étrangeté»
François Giard rappelle que cette course à la représentation du corps humain existe depuis des millénaires. Tout spécialement, la qualité de la peau constitue un critère de beauté et de réalisme très important. Ainsi, plus une peau est d’apparence lisse et de couleur homogène, plus elle respire la santé et plus on l’associe à la beauté, à la santé et à la jeunesse. À l’inverse, une peau terne marquée par des rides, des imperfections et des éruptions cutanées est liée à la vieillesse et tend donc à s’éloigner des critères de beauté en vigueur. «Tout se passe comme si une dissonance cognitive apparaissait chez le spectateur quand le personnage atteignait un degré de réalisme trop élevé, comme si trop de réalisme heurtait, dit François Giard. L’artiste doit donc faire un compromis d’équilibre entre réalisme et beauté.» La symétrie du visage joue également un rôle sur le degré d’attraction. En effet, un visage à la symétrie parfaite s’avère très attirant, tant pour les hommes que pour les femmes. Selon les théories portant sur l’attraction sexuelle, la symétrie résulterait d’une bonne santé hormonale et serait du même coup synonyme de fertilité.
Cela dit, tous les personnages de synthèse ne sont pas des réussites, et la recherche en psychologie n’est en rien responsable de cela. Selon le chercheur, il faut plutôt pointer du doigt les technologies qui doivent s’ajuster à la capacité tout aussi évolutive de reconnaître le leurre de l’image. François Giard prend ainsi pour exemple Boréal-Express (The Polar Express), un film d’animation signé Robert Zemeckis sorti en 2004, et qui est d’ailleurs devenu la référence quand on parle de films manqués en la matière. «Lorsqu’on construit un personnage de synthèse, dit-il, le personnage doit être crédible, être habité, en quelque sorte. Dans ce film, on a numérisé des personnages qui semblent assez réalistes lorsqu’ils sont immobiles, mais il reste que les personnages n’ont pas d’âme aussitôt qu’ils sont animés. En fait, ils arrivent difficilement à franchir cette vallée de «l’inquiétante étrangeté», telle que comprise par le chercheur en robotique Masahiro Mori.» À l’autre extrémité, un film fantastique comme L’étrange histoire de Benjamin Button, réalisé en 2008 et qui raconte l’histoire d’un homme vivant sa vie à l’envers, constitue une plus grande réussite, selon le chercheur. «On a l’impression que le personnage principal est très vivant, souligne-t-il. Il s’agit d’un mélange très intéressant de simulation et de numérisation. Dans ce cas, le réalisme gagne sur une représentation idéalisée.»
Des pinceaux intelligents
Que nous réserve l’avenir? «Avec l’omniprésence actuelle des avatars, il semble se définir une tendance technologique qui pointe vers une intelligence artificielle de la représentation, avance François Giard. Ces pinceaux intelligents de l’image de synthèse reprennent les modèles scientifiques connus pour appliquer, par exemple, une malléabilité automatisée des rendus de la peau. Les matériaux de synthèse réagissent aux lumières virtuelles, glissent adéquatement sur la musculature numérique et nous pouvons prévoir qu’ils se définiront aussi en fonction de l’âge voulu de personnages représentés. Le temps n’est pas si éloigné où nous aurons tous notre propre avatar qui proposera une image à la fois réaliste et idéalisée en fonction de notre vécu virtuel.»