
Q Pourquoi Jim Flaherty veut-il absolument imposer cette commission unique alors que l’OCDE et le Fonds monétaire international classent le Canada en tête des bourses les mieux régulées?
R C’est un paradoxe. À mon avis, il s’agit surtout de la volonté des grands groupes financiers d’avoir une commission unique pour faciliter les grandes opérations de financement international. Les émissions d’obligations à hauteur d’un ou de deux milliards de dollars que les multinationales font simultanément dans plusieurs provinces et dans plusieurs pays sont très rentables pour les firmes de courtage, qui trouvent ce créneau très intéressant. Or, elles considèrent que la fragmentation du marché serait un obstacle pour ce type d’opération. Il y aussi la vision que l’application de la loi sur les valeurs mobilières n’était pas très efficace, et qu’une commission unique permettrait de mieux lutter contre toutes les formes de délinquance liées aux valeurs mobilières même si, dans les classements internationaux, le Canada est reconnu comme un pays qui a une très bonne réglementation. Par ailleurs, on a l’exemple, aux États-Unis, d’une commission unique qui a été prévenue dès 1995 que le fonds Madoff était une fraude, et qui n’a absolument rien fait. En comparaison, l’Autorité des marchés financiers au Québec a été plus efficace dans le cas Lacroix.
Q S’agit-il donc essentiellement de lobbying?
R Il y a eu effectivement beaucoup de représentations du milieu financier dans les diverses commissions déplorant les coûts du système de valeurs mobilières au Canada. Pourtant, il existe très peu d’études comme la nôtre mesurant sur plusieurs années les coûts d’émissions des petites entreprises. En fait, on s’est aperçu que cela coûtait beaucoup moins cher de financer des petites entreprises ici, au Canada, qu’aux États-Unis, où il y a une commission unique. Beaucoup des affirmations faites par divers groupes ne sont donc pas vérifiées dans les faits. Au Canada, notre système est unique avec nos 13 commissions, et l’on est aussi le seul pays à avoir un marché boursier qui accepte des entreprises pratiquement en démarrage. Sur 4 000 entreprises listées, seulement 500 pourraient se qualifier pour le NASDAQ. Les autres sont des microcapitalisations. La moitié des entreprises entrées en bourse depuis 20 ans l’ont fait avec moins de 200 000 $ comme avoirs des actionnaires. C’est donc un marché remarquablement adapté à la structure d’entreprise qui existe au Canada. Le coût de fonctionnement n’est pas très élevé, et les entreprises survivent davantage que celles aux États-Unis. Il s’agit souvent d’entreprises en démarrage ou en croissance qui ne pourraient pas se financer par le système bancaire ou le capital de risque. Prenez CO2 Solutions à Québec, par exemple, qui développe des appareils pour capturer le gaz carbonique et le transforme en gaz inoffensif. Ils ont pu se développer en émettant en bourse des actions à 70 cents, alors qu’aux États-Unis les actions doivent valoir au minimum 5 dollars.
Q Pourquoi plusieurs entrepreneurs québécois s’opposent-ils à une commission unique?
R Un petit entrepreneur avec des moyens limités peut facilement rencontrer la bourse de croissance, ou le régulateur. Si tout se déplace à Toronto ou ailleurs, et si cela se passe en anglais, ça va forcément compliquer les choses. De plus, la crainte, c’est qu’une industrie organisée et très concentrée au Canada comme celle des banques influence l’organisme réglementaire unique selon ses besoins. Des besoins qui ne sont pas forcément ceux des petits entrepreneurs. L’autre dimension importante, c’est que le système provincial a permis des innovations adaptées aux économies locales, adoptées ensuite par d’autres provinces comme, en Alberta, les sociétés de capital de démarrage très bien adaptées aux petites sociétés minières, ou au Québec, où on a lancé le régime d’épargne-action, un crédit d’impôt très populaire dans les années 80, qui a permis de financer notamment Cascades, Quebecor et Jean Coutu. C’est aussi le Québec qui a lancé la déréglementation des frais de courtage, fixes jusque-là. La concurrence entre les commissions sert donc la diversification du marché très diversifié entre le secteur bancaire en Ontario, les mines en Colombie-Britannique, le gaz et le pétrole en Alberta, et les biotechnologies au Québec.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas