
Un prélèvement de 5 mm2 de tissus du palais suffit à produire une surface de tissu gingival 400 fois plus grande en trois semaines.
— Mahmoud Rouabhia
La greffe de tissus mous est une procédure courante en médecine dentaire. Le chirurgien prélève des tissus dans le palais de son patient et il les utilise pour reconstruire les gencives ou les autres tissus buccaux endommagés. «Le problème avec cette approche est que la surface qui peut être prélevée est petite, signale Mahmoud Rouabhia. De plus, cette procédure constitue en soi une chirurgie, ce qui cause une source supplémentaire d'inconfort pour le patient, sans compter le fait que la cicatrisation pose parfois problème.» La technique mise au point dans le laboratoire du professeur Rouabhia apporte une solution à ces deux inconvénients. Un prélèvement d'à peine 5 mm2 — une surface 60 fois plus petite qu'une pièce de 10 cents — suffit à produire 2 000 mm2 de muqueuse en 3 semaines.
La première étape de cette méthode consiste à prélever ce petit échantillon de tissu dans le palais et à séparer les cellules qu'il contient à l'aide d'enzymes. Les cellules épithéliales et les fibroblastes ainsi isolés sont cultivés séparément pendant quelques jours afin de les multiplier. Les chercheurs placent ensuite les fibroblastes dans un milieu de culture contenant une armature tridimensionnelle de collagène. Après quatre jours de croissance, les fibroblastes ont formé la couche de base de la muqueuse. Les chercheurs y ajoutent alors des cellules épithéliales et, 11 jours plus tard, les couches supérieures de la muqueuse sont à leur tour constituées. L'ensemble donne un tissu composé de couches cellulaires bien différenciées, très semblable à la muqueuse humaine naturelle.
Les greffes de ce tissu pratiquées sur des souris ont donné de résultats concluants. Soixante jours après l'intervention, la reprise est bonne, il n'y a aucune indication de nécrose ou de contraction des tissus greffés et la muqueuse montre des couches de cellules bien organisées et bien vascularisées. «C'est ce qui se rapproche le plus de la véritable muqueuse buccale humaine, estime le professeur Rouabhia. La vascularisation commence deux jours après l'intervention, ce qui est une bonne indication du succès de la greffe.» Soulignons que pour des raisons pratiques, notamment la petite taille de la bouche d'une souris, les greffes ont été pratiquées sur la peau du dos de ces animaux. «Je suis pratiquement certain que nous aurions obtenu les mêmes résultats si la greffe avait pu être pratiquée dans la bouche des souris», avance le chercheur.
Il serait donc possible de produire in vitro un tissu qui ressemble beaucoup à la muqueuse buccale humaine et qui pourrait être utilisé pour régénérer une muqueuse buccale fonctionnelle in vivo par autogreffe. Cette technique pourrait remplacer avantageusement la procédure actuelle, à plus forte raison si la surface de tissus à greffer sur les gencives est plus grande que celle qui peut être prélevée chez un patient. Elle serait de mise pour les cas plus rares de reconstruction buccale entraînée par un cancer ou par un accident grave. «Si nous obtenons les fonds nécessaires à la construction d'un laboratoire répondant aux exigences de sécurité pour ce type de travail, nous serons en mesure de produire cette muqueuse buccale et de réaliser des greffes chez l'humain d'ici deux ans», assure le professeur Rouabhia.