
Q Le choix par les syndicats des travailleurs qui peuvent travailler ou non sur un chantier de construction semble être au cœur du litige au chantier de La Romaine. La commission Cliche suggérait pourtant l’abolition du placement syndical il y a déjà plus de trente ans…
R Les gens ont vite réalisé que si on fermait les bureaux de placement syndicaux, tous les chantiers fermaient. Les placements syndicaux, qui existent partout en Amérique du Nord, sont le nerf de la guerre, source première du pouvoir de négociation des syndicats. Si on demande à un ou plusieurs corps de métiers de fermer leur bureau syndical, les syndiqués ne voudront plus travailler. L’industrie de la construction se composant d’une succession de groupes de métiers, il s’agit que l’un d’eux se mette en grève, les ferrailleurs par exemple, pour que le chantier ne démarre pas. C’est très clair.
Q Faudrait-il revoir la législation autour des métiers de la construction?
R Cela ne réglerait pas les problèmes. Face à une industrie très mobile dans une province qui est grande, il devient difficile d’appliquer la législation, car chaque chantier a sa propre culture, ses propres contraintes. Il y a quand même eu beaucoup d’améliorations dans les comportements, dans les attitudes, autant dans le monde syndical que patronal, depuis la commission Cliche. Comme dans n’importe quel groupe, il y a toujours ce qu’on appelle en ce moment des pommes pourries. Le problème avec le chantier de La Romaine n’a rien à voir avec celui du placement syndical. Au Québec, contrairement au reste du Canada et aux États-Unis, cinq centrales syndicales différentes se disputent les 145 000 travailleurs de la construction, alors qu’ailleurs il n'y a qu’un seul regroupement. Les rivalités intersyndicales étaient déjà la source des problèmes à LG2, le barrage à la Baie-James, qui ont donné naissance à la commission Cliche. Depuis 1970, la FTQ-Constuction cherche à obtenir le monopole sur les chantiers et n’a pas beaucoup de patience pour les travailleurs qui viennent d’autres centrales syndicales. C’est là que la violence arrive. On appelle ça le «festival de la claque sur la gueule».
Q Est-ce un problème généralisé sur les chantiers au Québec?
R Une querelle syndicale a eu lieu sur un autre chantier de construction de barrage au nord de Baie-Comeau, il y a quelques années, et Hydro-Québec a fermé le chantier le temps que les syndicats s’entendent. Il s’agit de cas isolés sur le nombre de chantiers à travers la province dans les quatre secteurs de la construction: grands travaux, industriel, résidentiel et institutionnel. Le phénomène n’a pas l’importance que les médias lui accordent actuellement. C’est le même local de la FTQ-Construction, le local 791, celui des opérateurs de machinerie lourde, qui est pointé du doigt à La Romaine, et qui a été à l’origine du saccage de la Baie-James en 1974. Par contre, ce qui m’inquiète beaucoup plus, ce sont les octrois des contrats par les organismes publics et les infiltrations du crime organisé, les Hells Angels, les enveloppes brunes, les entrepreneurs véreux, les municipalités… Ça, c’est beaucoup plus sournois, et ça, c’est un système. La Sûreté du Québec, la population, les procureurs de la Couronne au ministère de la Justice, tout le monde réclame une enquête, mais je ne suis pas sûr que les gens comprennent les implications d’une commission d’enquête. On sait quand elle démarre, mais on ne sait pas quand elle finit. Je suis convaincu que le refus du gouvernement du Québec d’une telle commission s’explique par des préoccupations électorales, car le rapport a bien des chances de tomber en même temps qu’une campagne électorale.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas