
Jean Labbé, professeur à la Faculté de médecine: «Il doit être difficile pour un médecin circoncis d'accepter le fait qu'il a été opéré sans raison valable.»
— Marc Robitaille
Ce n'est pas d'hier que la peau du prépuce fait l'objet d'un rite. La plus ancienne référence à la circoncision se trouve sur un bas-relief égyptien qui date de 2 400 ans avant Jésus-Christ. Rite de passage dans plusieurs sociétés, la circoncision prend une teinte religieuse chez les Juifs. En effet, la Bible fait mention que Dieu aurait prescrit à Abraham de faire circoncire la chair du prépuce des enfants en signe d'alliance avec lui, précisant même que le tout devait se dérouler le huitième jour de vie. Chez les chrétiens, la question de la circoncision a été débattue lors du tout premier concile tenu à Jérusalem, au milieu du 1er siècle, et il a été convenu de dispenser les chrétiens non juifs de cette obligation.
«Dans l'Occident chrétien, précise le professeur Labbé, la circoncision est restée marginale jusqu'à ce que des médecins découvrent, au 19e siècle, son rôle thérapeutique contre deux problèmes jugés extrêmement dangereux pour la santé, soit la masturbation et le phimosis (étroitesse anormale du prépuce).» Considérée par certains médecins comme source de graves problèmes physiques et mentaux, et par d'autres comme un fléau pire que la peste, la guerre et la variole, la masturbation trouve un remède à sa mesure dans la circoncision. Un médecin de l'époque, John Harvey Kellogg, également inventeur des Corn Flakes et pédagogue à ses heures, recommande même que l'intervention se fasse «sans anesthésie puisque la brève douleur au cours de l'opération aura un effet salutaire sur l'esprit de l'enfant, spécialement si le tout est présenté comme une punition».
De là à penser qu'il valait mieux prévenir les problèmes plutôt que d'attendre que la géhenne s'abatte sur nous, il n'y avait qu'un pas que certains pays — notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les provinces anglaises du Canada — ont franchi au début du 20e siècle par l'adoption de la circoncision des nouveau-nés comme pratique standard. Il faudra attendre les années 1950 pour que des médecins remettent en question la pertinence de cette intervention. Au milieu des années 1970, les autorités médicales américaines et canadiennes tranchent: en l'absence de conditions médicales particulières (moins de 1 % des naissances), les avantages potentiels ne sont pas suffisants pour recommander la circoncision.
Plus de trois décennies plus tard, le taux de circoncision dépasse encore 50 % aux États-Unis et 30 % au Canada. Les raisons les plus souvent évoquées par les parents canadiens sont l'hygiène (44 %), la norme sociale ou familiale (37 %) et la religion (15 %). «Je ne partirai pas en guerre pour interdire la circoncision des garçons pour des motifs religieux, commente le pédiatre. Par contre, la question de l'hygiène est un faux problème. Pour ce qui est de la norme sociale, il y a de l'éducation à faire auprès des parents. La circoncision est une chirurgie qui provoque de la douleur et qui comporte des risques pour la santé de l'enfant. Lorsqu'on explique aux parents qu'il n'y a pas de motifs médicaux pour circoncire préventivement, la plupart comprennent.»
Le problème n'est pas criant au Québec. «Le taux de circoncision a toujours été plus faible ici que dans le reste du pays, signale Jean Labbé. De nos jours, c'est à peine 3 %.» Aux États-Unis et au Canada anglais, la circoncision perd du terrain, mais à petite vitesse et le corps médical pourrait être en partie responsable de la chose, avance-t-il. «Il doit être difficile pour un médecin circoncis d'accepter le fait qu'il a été opéré sans raison valable.»