On ne meurt que mille fois
«Pour beaucoup d’Occidentaux, la croyance en la réincarnation s’inscrit dans le refus de n’avoir qu’une seule vie à vivre et la mécanique des jeux vidéo reflète bien cette croyance», a expliqué Mathieu Dagenais lors d’une conférence qui a eu lieu le 16 mars sur le thème «Vie, mort et après-mort: jeux et enjeux d’une société post-mortelle». L’un des jeux les plus populaires est le first-person shooter, qui se traduit par «jeu de tir à la première personne». Immergé dans un monde semé d’embûches, possédant une vision d’ensemble de toute la scène tel un dieu omniscient, le joueur doit à tout prix persister dans sa mission et marquer des points, au propre comme au figuré. Appelé à atteindre de plus hauts niveaux comme autant de cycles de vie, jamais il ne peut revenir en arrière, l’important étant de durer.
«Les concepteurs de jeux vidéo ont compris que la mort définitive d’un personnage pouvait nuire à l’intérêt du jeu et du même coup, à sa popularité, affirme Mathieu Dagenais. Le pire, c’est qu’on a aux États-Unis des jeunes qui sont morts d’avoir trop joué devant leur ordinateur. Ils étaient tellement pris par le jeu qu’ils en oubliaient de se nourrir et de dormir, ce qui nous ramène au caractère obsédant de certains jeux vidéo.» La mort n’est jamais non plus définitive dans un autre jeu très populaire du type World War Craft. Peuplé de personnages fantastiques, le héros doit y combattre dragons et fantômes, l’une des récompenses ultimes étant l’épée, symbole de sa force et moteur de reconnaissance sociale de la part des autres joueurs. Il s’y crée parfois un système de castes. Les personnages n’y vieillissent jamais mais évoluent constamment, s’incarnant et se désincarnant au fil d’existences inventées.
Le mot de la fin appartient à Jean-Philippe Perreault, doctorant en sciences des religions qui participait également à cette conférence organisée par la Faculté de théologie et de sciences religieuses et le Regroupement des étudiants en sciences des religions. «Dans une société comme la nôtre où la mort est en quelque sorte niée collectivement, il est normal qu’elle ressorte dans les jeux vidéo, souligne Philippe Perreault. Mais dans ces mondes réels et virtuels où on ne meurt jamais, est-on encore dans l’humanité?»