C’est ce qui se dégage du mémoire de maîtrise en histoire de Marilyn Bernard intitulé Vivre, s’intégrer et interagir en étant minoritaires à plusieurs égards: le cas des femmes juives à Québec de 1940 à nos jours. Dans cette étude réalisée sous la supervision de Lucille Guilbert, Marilyn Bernard se demande en quoi cette identité juive a influencé les rapports sociaux des huit participantes interrogées aux fins de sa recherche. Âgées de 32 à 79 ans, les participantes vivaient en moyenne à Québec depuis 26 ans. Toutes étaient ou avaient été mariées. Six d’entre elles détenaient un diplôme universitaire et travaillaient dans le milieu de l’enseignement. Six étaient croyantes, dont trois étaient pratiquantes. Malgré ces différences, l’ensemble des répondantes trouvait important de célébrer des fêtes telles Hanoukka, Rosh Hashana ou la Pâque juive. Le fait d’avoir des enfants les incitait à perpétuer les traditions religieuses, même si un seul couple envoyait ses enfants suivre l’éducation juive donnée par le rabbin, le Talmud Torah. Dans toutes les familles, l’apprentissage des langues étrangères occupait un aspect essentiel. Par ordre d’importance, les langues parlées à la maison et au travail étaient le français, l’anglais et l’hébreu.
Double statut
«De tous les types de situation sociale, les femmes qui ont immigré depuis les années 1980 et ne maîtrisant pas le français lors de leur arrivée à Québec sont celles qui ont eu le plus de mal à s’intégrer, explique Marilyn Bernard. Aucune n’affirme avoir été discriminée à cause de sa religion, mais deux répondantes m’ont dit qu’il leur avait été très difficile de se bâtir un réseau social et de trouver un emploi qualifié. Cette situation est nouvelle étant donné que, jusqu’au milieu du 21e siècle, les juifs étaient très impliqués dans le commerce à Québec et que leurs femmes travaillaient au sein des entreprises familiales. Même si la plupart étaient unilingues anglaises, elles ne connurent jamais les aléas de la recherche d’emploi.» Par ailleurs, une participante à l’enquête dit avoir subi certains affronts au travail, dans les années 1960, à cause de son double statut minoritaire de femme et de juive. Une autre a été évincée d’un restaurant quand le patron a reconnu son patronyme juif. Mais ces exemples demeurent isolés, explique la chercheuse.
Si aucune des répondantes n’a vécu les horreurs de la Shoah, il n’en demeure pas moins que les récits et les souvenirs rapportés par les parents et les proches les ont marquées à jamais. Cette peur et ce malaise liés au nazisme continuent en effet de faire des victimes, à leur manière. «Une répondante m’a raconté que sa fille, lisant Le journal d’Anne Frank, lui avait dit qu’elle ne voulait pas être juive, de peur que les Allemands viennent la chercher», rapporte Marilyn Bernard.