La Bibliothèque présente en ce moment deux expositions dont les objets sont tirés des riches collections de l’Université. La première, intitulée Entre mer et terre – Les Lau de Malaita, montre plus de 80 magnifiques objets ramenés d’un terrain anthropologique de deux ans réalisé dans les années 1960 par l’ancien professeur Pierre Maranda. La seconde exposition se consacre aux 20 ans de l’Institut d’études anciennes et médiévales de l’Université Laval. Elle s’appuie, entre autres, sur une mosaïque, des vitraux médiévaux et d’imposants moulages en plâtre de sculptures remontant à l’Antiquité.
«Je dirais que ces dernières années un regain d’intérêt pour nos collections a contribué à leur rayonnement, explique la chargée de conservation et de restauration, Gisèle Deschênes-Wagner. Actuellement, nous avons des pièces prêtées, entre autres au Musée de la civilisation de Québec et au Musée canadien de la nature à Ottawa. Cela dit, notre but principal consiste à appuyer étroitement l’Université dans sa mission d’enseignement et de recherche.»
Gisèle Deschênes-Wagner est associée aux collections de l’Université depuis 41 ans. Le 3 janvier prochain, elle prendra officiellement sa retraite. En quatre décennies, elle aura vu les collections, gérées administrativement par la Bibliothèque, prendre une expansion considérable. Aujourd’hui, plus d’un million trois cent mille objets et spécimens les composent. Les champignons, plantes invasculaires et vasculaires sont plus de 800 000. Le nombre d’insectes s’élève à plus de 375 000. Les roches, fossiles et minéraux sont au nombre de 45 000. Les mollusques, plus de 20 000. La collection d’oiseaux naturalisés comprend plus de 6500 individus. Mentionnons également le millier d’outils et d’ossements datant du Paléolithique, le millier d’objets reflétant l’art populaire québécois, les textiles et les outils traditionnels, les quelque 750 moulages en plâtre de sculptures remontant à l’Antiquité et exposés dans de grands musées du monde, ainsi que quelque centaines de mammifères.
«Nos collections sont belles et bien conservées, et leur réputation est excellente, tant dans notre milieu universitaire que dans celui des musées, affirme Gisèle Deschênes-Wagner. Il s’agit de collections universitaires d’exception. Les chercheurs en sciences naturelles savent que nos collections sont bien conservées. L’été dernier, deux chercheurs de pointe sont venus consulter notre collection d’insectes. La variété et la bonne tenue de nos collections font que les musées n’hésitent pas à communiquer avec nous pour nous demander si nous pouvons illustrer les thématiques qu’ils préparent. Il n’est pas rare de voir nos tableaux, nos objets ou nos spécimens dans de grands musées.»
Deux vastes locaux, plus de 450 000 objets et spécimens
La majeure partie de la réserve des collections occupe deux vastes locaux au pavillon Louis-Jacques-Casault. Le reste se trouve notamment au pavillon Eugène-Marchand pour l’Herbier Louis-Marie et au pavillon Adrien-Pouliot pour la collection de géologie-minéralogie. Le pavillon Casault abrite plus de 450 000 objets et spécimens. On y retrouve notamment les collections d’anthropologie, d’appareils scientifiques, d’archéologie classique, des beaux-arts et d’entomologie. Pour la conservation des collections de sciences naturelles, un système d’atmosphère contrôlé, avec humidité et température stables durant toute l’année, a été installé.
«Les collections renferment plein de trésors, souligne-t-elle. Chacun des chercheurs, des professeurs ou des artistes qui utilisent les collections trouve son trésor, sa merveille. Un étudiant dont le sujet de recherche est le vêtement à l’époque victorienne va trouver dans les collections de vrais vêtements de l’époque victorienne et c’est cela son trésor. Il peut les examiner, les photographier sans avoir à en trouver ailleurs.»
Entrer dans la réserve du pavillon Louis-Jacques-Casault, c’est pénétrer dans un lieu intemporel et découvrir un très grand cabinet de curiosités. Une caverne d’Ali Baba, disent certains, considérant la grande variété d’objets qu’on y trouve. Des vitrines aménagées avec sobriété à l’entrée donnent au visiteur une idée de ce qui l’attend à l’intérieur. Y est notamment exposée une superbe chèvre de montagne, à l’épais pelage blanc, confortablement couchée sur une grosse roche.
Une fois à l’intérieur, on atteint le bureau de la chargée de conservation et de restauration après avoir traversé d’étroits corridors aux hautes étagères surchargées d’objets. Dans son bureau, Gisèle Deschênes-Wagner utilise tout l’espace disponible. Une douzaine de tableaux, la plupart sur des sujets religieux, sont accrochés aux murs. Deux bustes attirent l’attention. L’un en plâtre représente Zeus. L’autre, en fibre de verre, montre le visage d’un jeune homme. Les deux sculptures d’origine remontent aux anciens Grecs. Dans une grande armoire vitrée, on aperçoit quelques vases d’origine asiatique. Un peu plus loin, un boulet de canon en bronze, tiré lors du bombardement de Québec de 1759, est posé sur le dessus d’un meuble. Dans un coin, on remarque une statue en plâtre d'une jeune prêtresse grecque. L’œuvre originale a été réalisée au 4e siècle avant Jésus-Christ. La préadolescente, avec un demi-sourire, regarde attentivement un oiseau qui niche dans les plis de sa tunique.
Un événement marquant pour les collections est survenu en 1997. À partir de cette année-là, les collections, qui étaient dispersées sur le campus dans les facultés ou départements concernés, ont été réunies au pavillon Louis-Jacques-Casault, où elles sont aujourd’hui hébergées afin de mieux les conserver, mais surtout pour les rendre plus facilement accessibles aux professeurs et chercheurs. «On avait alors profité du départ de l’École des arts visuels vers l’édifice La Fabrique et des locaux laissés vides à cette occasion, raconte Gisèle Deschênes-Wagner. En plus, à cette époque, on avait profité de conseils de spécialistes des musées nationaux pour l’aménagement du local des sciences naturelles.»
Une vie consacrée aux collections
Gisèle Deschênes-Wagner a consacré toute sa vie professionnelle aux collections de l’Université. Son mémoire de maîtrise en archéologie l’avait amenée à visiter de nombreux musées de par le monde où elle avait consulté différents inventaires. «Cela, dit-elle, m’a aidée grandement à obtenir un poste nouvellement créé à l’Université, celui de chargé d’inventaire des collections.» Pour élaborer son système d’inventaire, Gisèle Deschênes-Wagner a fait plusieurs séjours à Ottawa, afin de s’inspirer de ce qui se faisait dans les musées nationaux canadiens.
À son arrivée, à titre d’exemple, il n’y avait qu’une centaine d’œuvres d’art à gérer. Aujourd’hui, la collection comprend quelques milliers de peintures, sérigraphies, sculptures, aquarelles et autres. À ses débuts également, la collection d’insectes ne comprenait que quelque 100 000 spécimens.
Sur l’évolution des collections au cours des quatre dernières décennies, elle dira qu’elles n’étaient utilisées que pendant les sessions d’automne et d’hiver, lors de ses premières années. «Maintenant, ajoute-t-elle, elles sont utilisées pendant toute l’année. Les musées communiquent plus souvent avec nous. Les dons sont plus nombreux. Et un professeur en muséologie, avec ses étudiants, est très actif depuis deux ans à mettre en valeur les collections, et surtout à les faire connaître.»
Gisèle Deschênes-Wagner insiste sur l’importance de conserver avec grand soin toutes les collections de l’Université en utilisant les meilleures méthodes muséologiques en la matière. «Nos collections d’insectes, d’oiseaux, d’ethnologie et de pièces pathologiques, pour ne mentionner que ces exemples, sont des témoins du passé qui nous aident à mieux comprendre le présent et parfois à préparer l’avenir, soutient-elle. Les collections sont et seront toujours une source inépuisable de sujets de recherche pour les générations à venir.»
On s’en doute, Gisèle Deschênes-Wagner a eu plusieurs coups de cœur au fil du temps. «J’en ai eu, explique-t-elle, lorsque je me suis aperçue que chaque objet ou chaque spécimen a une histoire importante à connaître.» Parmi eux, mentionnons les six spécimens de Kallima inachus, dit papillon-feuille. Cet insecte d’Asie du Sud-Est se protège des oiseaux insectivores en se camouflant, plus précisément en reproduisant la couleur et la forme d’une feuille. En refermant ses ailes, il se confond avec le feuillage. Mentionnons également un échantillon de la plus vieille roche de la Terre connue à ce jour. Ce faux-amphibolite à grenat aurait 4,2 milliards d’années. Il s’agirait d’un vestige de la croûte originelle de notre planète. Il provient de la côte est de la baie d’Hudson, au Nunavik.
«Ce furent de belles années de bonheur, dit-elle. Toute ma vie, j’ai eu les collections dans mon cœur. Elles sont tatouées là. Je ne les oublierai jamais.»
Durant toute sa carrière, elle a voulu s’inscrire dans la lignée des conservateurs de l’Université présents depuis la moitié du 19e siècle. «La marque que je veux laisser, ajoute-t-elle, est de garder les collections avec soin pour les générations futures.»