Acériculture, agriculture, pêche à l’anguille, cueillette de petits fruits en forêt, écotourisme: depuis quelques années, au Bas-Saint-Laurent, cette vaste région située à l’Est du Québec, de nombreuses et nouvelles organisations locales dynamisent leur milieu en le valorisant. C’est le message qui traverse le livre D’espoir et d’environnement?, sous-titré Nouvelles ruralités et mise en valeur de la nature au Bas-Saint-Laurent. Cet ouvrage collectif de 334 pages, placé sous la direction de la professeure Sabrina Doyon, du Département d’anthropologie, a été publié il y a quelques mois aux Presses de l’Université Laval. Les autres collaborateurs à ce livre sont Manon Boulianne, David Bouchard, Nakeyah Giroux-Works, Sarah Pezet et Olivia Roy-Malo.
«Les indicateurs socioéconomiques du gouvernement du Québec qualifient le Bas-Saint-Laurent de “région dévitalisée”, explique la professeure. Il faut dire qu’elle fait face à des défis de taille, notamment une baisse démographique et des coupes budgétaires. Mais depuis quelques années, des citoyens ont insufflé au niveau local un réel dynamisme basé sur la création de petites entreprises atypiques et viables. Durant notre période de cueillette de données, de 2013 à 2018, nous en avons recensé plus de 250.»
Selon Sabrina Doyon, ces projets entrent mal dans le cadre du modèle habituel de développement. «Ces petits entrepreneurs locaux, soutient-elle, font la preuve qu’on peut penser la vitalité socioéconomique à l’extérieur du cadre conventionnel de développement typique des régions éloignées, des cadres réduits bien souvent à l’extraction minière et à la production d’énergie. Il y a de l’agriculture à grande échelle et de la récolte industrielle de bois au Bas-Saint-Laurent, mais notre travail montre qu’il y a aussi autre chose.»
Les entreprises répertoriées par les chercheurs ont un point en commun: elles contribuent chacune à leur manière à protéger la nature. D’ailleurs deux chapitres sur cinq portent spécifiquement sur la protection de l’environnement. L’un porte sur la lutte contre l’exploitation et l’exploration d’hydrocarbures, l’autre sur des initiatives locales pour la conservation environnementale.
«Les efforts de lutte citoyenne aux projets pétroliers et gaziers, comme celui de l’oléoduc Énergie Est, qui a fini par être abandonné en 2017, ont montré à quel point la population régionale est préoccupée par l’avenir environnemental, souligne-t-elle. Les initiatives locales de conservation, quant à elles, ont été mises en place par des particuliers, seuls ou en associations. Ces citoyens, en plusieurs occasions, ont demandé au gouvernement québécois le statut d’aire protégée sur des propriétés privées, notamment en milieu côtier fragile. On trouve relativement peu de terres publiques au Bas-Saint-Laurent. Ces propriétaires sont prêts à sacrifier une partie de leur propriété pour assurer sa protection écologique dans le futur. Cela rejoint un des thèmes du livre: l’espoir que l’environnement ne se dégrade pas plus, qu’il s’améliore par les relations entre les habitants et la nature. Voilà des gens qui ne sont pas cyniques, qui posent des gestes qui font une différence.»
Quelques exemples de réussites
En 2015, la MRC de Témiscouata, au cœur du Bas-Saint-Laurent, comptait 264 entreprises de production de sirop d’érable, une augmentation de 18% en cinq ans. En 2010, chaque entreprise comptait en moyenne 19 000 entailles, soit trois fois la moyenne québécoise.
«Le succès commercial de ce secteur démontre qu’il est possible d’utiliser la forêt sans se fonder uniquement sur la coupe de bois, affirme la professeure Doyon. D’autres exemples de cueillettes à succès dans cette région sont la salicorne, une plante sauvage qui pousse en bord de mer, et le fruit de l’églantier, qui sert notamment à la confection de confiture et de gelée. Il existe cependant des défis de durabilité à ces cueillettes, particulièrement lorsque des prélèvements faits par des visiteurs extérieurs à la région s’ajoutent, sans arrimage avec la gestion locale en place.»
Les activités de pêche au Bas-Saint-Laurent ont connu des jours plus heureux. La pêche à l’anguille, par exemple, qui se pratiquait depuis des siècles et qui contribuait à l’économie locale, est devenue progressivement une activité marginale.
«Les stocks d’anguilles ont diminué de beaucoup à cause d’un écosystème fluvial dégradé et surtout de la perte d’accès aux affluents, explique-t-elle. La ressource est précaire. Un savoir-faire écologique unique transmis de génération en génération est en train de se perdre. Or, ce phénomène survient alors que la valorisation gastronomique de l’anguille est en cours. Année après année, les pêcheurs font preuve d’innovation dans la transformation de ce poisson. Et des activités de promotion mettent en valeur l’aspect patrimonial de cette ressource et du savoir-faire qui y est associé.»
Au Bas-Saint-Laurent, de nombreux agriculteurs portent un deuxième chapeau: celui de fermier forestier. «Ces agriculteurs, dit-elle, peuvent faire pousser des pruniers, des noisetiers, des argousiers sur leur terre. En forêt, ils peuvent faire la cueillette de fruits comme la groseille sauvage et la chanterelle commune.»
L’écotourisme, ou tourisme de nature, est un autre aspect abordé dans ce livre. Il s’agirait de la forme de tourisme connaissant la plus rapide croissance dans le monde. Présenté comme durable et responsable, l’écotourisme fait la mise en valeur d’une nature et d’une culture authentiques. Il vise aussi à limiter au maximum les conséquences néfastes des visites touristiques. Au Bas-Saint-Laurent, ces activités vont du kayak de mer à des excursions d’interprétation et de mycotourisme, en passant par la contemplation des paysages et l’hébergement non traditionnel. Les projets écotouristiques dans cette région sont qualifiés d’originaux, innovants et diversifiés. Ils fonctionnent en synergie avec les autres petites entreprises locales, notamment en mettant de l’avant des produits du terroir.