
De nouveaux réfugiés syriens à leur arrivée dans un camp de réfugiés situé en Jordanie, le 30 janvier 2013. Ils fuyaient la violence et les bombardements de la guerre civile qui déchirait leur pays.
— Jeff. J. Mitchell
Lors de son passage à l'Université le lundi 29 septembre, Alain Touraine a prononcé un discours au pavillon Alphonse-Desjardins inspiré de son ouvrage La fin des sociétés, paru chez Seuil en 2013. Le portrait qu'il a dressé du monde moderne s'avère particulièrement sombre. Selon le conférencier, le capitalisme industriel, le plus grand agent de la modernisation sociale depuis la fin du Moyen Âge, a été «assassiné» par le capitalisme financier lors des crises économiques de 1929 et de 2008. «Aujourd'hui, a-t-il dit, la majeure partie des capitaux ne sont plus utilisés pour des investissements collectifs.» Quant aux pays en développement, cette immense partie du monde qui a été agitée par des mouvements de décolonisation, de libération nationale et quelques fois de démocratie, ils sont aujourd'hui «massivement dominés par des tyrannies personnelles, ethniques et même quelques fois religieuses».
A contrario, des évènements majeurs porteurs d'un grand espoir ont marqué la fin du 20e et le début du 21e siècle. On pense ici à la destruction du mur de Berlin et à la manifestation monstre sur la place Tiananmen à Pékin. Plus récemment, le printemps arabe a favorisé l'émergence de mouvements de libération démocratique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Alain Touraine a également souligné l'influence positive du Sud-Africain Nelson Mandela, «le premier héros planétaire», et du Français Stéphane Hessel avec son opuscule Indignez-vous! Il a même eu de bons mots au sujet du programme politique du nouveau gouvernement régional du Kurdistan, lequel se résumerait en démocratie, laïcité et féminité. «Tout ça, a-t-il expliqué, c'est du bien. Mais le bilan est en faveur du mal, le mal qui se développe, qui gagne du terrain, qui fusille et qui décapite.»
Le mal que dénonce Alain Touraine est multiforme et inclut la spéculation, la corruption, la violence physique, le racisme et l'antisémitisme. Il peut être constaté aussi dans le recul significatif de mouvements qui semblaient être là pour rester, comme l'écologie politique ou la libération de la femme. «En France, au Mouvement de libération des femmes, on m'a dit: “Des militantes, il n'y en a plus!", a-t-il raconté. Je vois tout ce qui était des forces de progrès écrasé, détruit et remplacé par des forces antidémocratiques comme le retour au communautarisme, l'obsession de l'identité donc du refus de l'Autre, la définition par l'être plutôt que par le faire.»
Avec les piliers des sociétés démocratiques qui se dérobent, le conférencier prône un autre type de vie collective et individuelle. Cette nouvelle voie est fondée sur la défense des droits humains universels contre toutes les logiques d'intérêt et de pouvoir. Comment peut-elle voir le jour? En créant et en adhérant à de nouveaux mouvements éthico-sociaux. «L'éthique, a soutenu Alain Touraine, veut dire qu'il y a des droits fondamentaux, c'est-à-dire universels, qui doivent être au-dessus des lois. Il n'y a rien de plus important que la justice, que le droit à la liberté et à l'égalité. Il faut que les personnes puissent être les acteurs de leur propre dignité. Il faut défendre l'humain comme un créateur de soi, du monde et de la liberté.»
Selon le conférencier, le combat contre le mal peut s'appuyer sur la tradition occidentale. D'un côté, il y a la raison scientifique et la pensée logique. De l'autre, les droits humains fondamentaux prônant que chaque humain doit être reconnu comme créateur et libre. Une tradition qu'il résume par «liberté, égalité, dignité».