On la surnommait la merveilleuse folle de Québec, la reine du kitsch ou encore la Comtesse Bebelle. Henriette Belley fut une véritable icône du folklore dans les années 1960 et 1970. Avec ses costumes extravagants, qu’elle confectionnait elle-même, elle était de toutes les premières de spectacles et soirées mondaines, faisant des apparitions théâtrales remarquées.
Une baladodiffusion, disponible sur la plateforme StoryMaps, revient sur la vie de cette femme haute en couleurs. Ce projet, dont la sortie coïncide avec la journée du 41e anniversaire de sa mort, a été réalisé par cinq finissantes du programme de muséologie, Pascale Charpentier, Amélie Fafard, Énya Kerhoas, Bianka Roy et Sarah Thibaudeau-Cormier, dans le cadre d’un cours du professeur Jean-François Gauvin.
Merveilleuse Henriette Belley propose de revisiter quatre lieux qui lui sont associés: la maison où elle a habité dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste, l'ancien cinéma Empire, transformé en musée dans les années 1980, ainsi que le Capitole et le Palais Montcalm, qu’elle fréquentait régulièrement. Il suffit de cliquer sur une carte géolocalisée pour faire jouer des capsules audio.
Très peu de traces subsistent d’Henriette Belley. Une épigraphe lui est consacrée sur la façade de son ancienne maison et un parc du quartier Saint-Roch porte son nom. Pour retracer son histoire, les étudiantes ont passé au peigne fin les archives et ont effectué des entrevues avec des gens qui l’ont côtoyée.
À l’instar de ses collègues, Amélie Fafard n’avait jamais entendu parler d’Henriette Belley avant de travailler sur cette baladodiffusion. «Dans le cadre du cours en muséologie, nous devions créer un projet numérique. Étant originaire de Montréal, je ne connais pas beaucoup Québec, mais j’avais envie de travailler sur un sujet lié à la vie locale. En fouillant sur le site Web de la Ville pour trouver des idées, j’ai découvert Henriette Belley. Le fait qu’une épigraphe lui était consacrée et qu’il existait très peu d’informations sur elle a piqué notre curiosité.»
Henriette Belley est née en 1905 dans une famille modeste. Illettrée, elle apprend la couture à l’âge de 13 ans. C’est ainsi que naît son amour des déguisements. Cartomancienne de métier, elle conçoit ses premiers costumes à l’occasion du Carnaval de Québec, dans les années 1950. D’abord, elle n’est pas prise au sérieux.
Peu à peu, ses robes, bijoux, paillettes et chapeaux attirent l’attention dans les salles de spectacles. Bien sûr, elle se pointait toujours en retard pour s’assurer que le public puisse la voir. Il arrivait même que l’on attende son arrivée avant de commencer le spectacle. Lors d'une première de Robert Charlebois, Louise Forestier et Yvon Deschamps, l'assistance applaudit avec une telle vigueur qu'elle n'arrive pas à prendre place. Après 20 minutes, les artistes montréalais viennent embrasser leur concurrente. Henriette Belley leur aurait lancé: «C'est maintenant votre tour! Je m'assois pour de bon. Autrement, vous ne pourrez pas donner votre spectacle.» On raconte aussi que plusieurs artistes tentaient de l'inviter gratuitement, ce qu'elle refusait toujours.
«La reconnaissance d’Henriette Belley provient du milieu populaire, explique Amélie Fafard. C’est l’amour de la population qui l’a amenée sur son piédestal, même si elle a travaillé fort pour se faire connaître. Il n’y a pas eu d’événements marquants. Petit à petit, Henriette Belley a gagné en popularité.»
En 1971, une soixantaine de costumes sont exposés au Musée de Québec. En 1975, elle déménage dans le quartier Saint-Sauveur et se retire de la vie publique. En 1984, soit quatre ans après sa mort, un musée est créé en son honneur dans l'ancien bâtiment du cinéma Empire, mais il fermera ses portes deux ans plus tard.
Le mystère demeure sur ce qui est advenu des milliers de costumes et artéfacts de la reine du kitsch. «Il y a beaucoup d’hypothèses, mais on ignore où se trouve physiquement la collection, explique Sarah Thibaudeau-Cormier. Les impresarios de Madame Belley sont décédés. Tous ceux à qui nous avons parlé nous réfèrent à quelqu’un d’autre, mais personne ne sait vraiment où elle est passée.»
De son vivant, Henriette Belley tenait à ce que sa collection reste entière et soit vendue à un seul acquéreur. «Elle a approché plusieurs institutions, mais aucune n’a voulu la prendre, raconte l’étudiante. Étant une personne excentrique et un peu dramatique, elle promet de tout brûler, ce qu’elle n’a pas fait finalement. Un article de journal raconte que la collection a été vendue à un Américain de Boston. Toutefois, cet article est contredit par d’autres documents d’archives.»
Pour Sarah Thibaudeau-Cormier, cette situation est typique des enjeux du milieu de la muséologie. «Il peut être très difficile de conserver des objets que l’on dit patrimoniaux. Des artéfacts ayant pourtant un intérêt peuvent disparaître du jour au lendemain. D’où l’importance de se demander ce qui vaut la peine d’être préservé ou non.»