Q Comment expliquer que le lock-out dure depuis le 22 avril 2007?
R Il n’y a pas assez d’enjeux suffisants pour que cela se termine. Du côté du Journal de Québec, il semble que le quotidien demeure rentable. Même si des gens ont été engagés et que les tribunaux doivent juger s’il s’agit de briseurs de grève, les dépenses du Journal seraient moindres que lorsqu’il fonctionnait avec les journalistes syndiqués. Il utilise beaucoup de matériel de Montréal, de la chaîne Sun Media, de l’agence de presse Nomade, un projet de Quebecor, et il a encore des contrats de publicité. Le conflit n’a pas l’air de lui faire trop mal, mais on n’a pas d’informations directes. Et même si Le Soleil a profité de la situation pour accroître son lectorat, il semble que les tirages du Journal de Québec n’aient pas tellement souffert. Du côté du syndicat, il a de bonnes ressources; d’autres syndicats comme celui de TVA ou des centrales lui donnent un coup de pouce et le journal MédiaMatinQuébec permet aux syndiqués de garder le moral. Finalement, on avance vers l’été, une période creuse pour les médias, avec moins de revenus publicitaires et où les nouvelles sont plus tranquilles. Tout peut arriver, mais on ne s’attend pas à un règlement avant l’automne.
Q Le conflit porte sur les salaires, les heures de travail, et surtout sur l’obligation pour les journalistes de pratiquer le multimédia, soit de fournir des films ou des photos en plus des articles. Est-ce un enjeu important pour les autres médias au Québec?
R C’est capital, particulièrement pour les journaux payants, ceux de Gesca (NDLR Qui publie notamment La Presse et Le Soleil) et de Quebecor, particulièrement à Montréal, où s’ajoute la concurrence des journaux gratuits. Les revenus publicitaires des quotidiens payants sont en baisse depuis des années, et il faut nécessairement faire un virage Web. Ce n’est pas encore rentable, mais c’est l’avenir et les négociations doivent démarrer cet automne avec les journalistes du Journal de Montréal. Jusqu’à l’entente signée à La Presse, ce média avait de la difficulté à s’imposer notamment en raison des conventions collectives. La direction a consenti une rémunération supplémentaire aux journalistes qui tiennent des blogues ou qui produisent des vidéos et bonifié le salaire de ceux qui ne travaillent que sur le site Cyberpresse. Quebecor n’a pas le choix de tenir compte de cette entente. Cela dit, comme professeur enseignant à de futurs journalistes, c’est préoccupant de voir à quel point les relations de presse sont dures avec cette entreprise.
Q Quelle forme pourraient prendre les quotidiens sur Internet dans l’avenir?
R Les journalistes tiennent à faire de l’information et non pas à consacrer une grande partie de leur temps et de leur énergie à des vidéos amusantes ou à des choses relevant plus de la technique et de la quincaillerie. Il n’existe pas encore de formule économique ou de formule gagnante, mais il me semble qu’un journal qui tient à son image de marque doit maintenir sa spécificité. Le Journal de Québec, avant le lock-out, était un bon tabloïd, avec des breaking news, de bons faits-divers, une bonne couverture des sports locaux, de l’actualité générale, des chroniqueurs, un produit professionnel et proche des gens. Si on s’éloigne de ce modèle en demandant à tous les journalistes de faire tout à la fois, on se tire dans le pied. Par ailleurs, dans une ville comme Québec où la baisse de la présence journalistique de la télé et de la radio est constante depuis plusieurs années, on a parfois l’impression qu’on ferme boutique le vendredi à 18 h 30 pour ne rouvrir que le lundi; on va peut-être assister à l’émergence de médias indépendants sur le Web. Un ancien journaliste a parlé au Conseil de presse, lors de sa tournée à Québec, d’un projet de podcast d’affaires publiques locales sur abonnement. Est-ce qu’un projet est rentable ici, je ne sais pas, mais c’est peut-être vers cela qu’on s’en va.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas