«Le projet de loi C-15 déposé en décembre dernier par le gouvernement fédéral est d’une importance capitale, à la fois pour les autochtones d’ici et pour les autres peuples autochtones de par le monde qui ont tous les yeux tournés vers le Canada.»
Dans ce commentaire, Romeo Saganash, leader de la nation crie et grand défenseur des droits des autochtones du Canada, fait référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à la volonté du gouvernement du Canada à la mettre en œuvre.
Le lundi 8 février, en visioconférence, il a entretenu environ 400 personnes sur le recours, par les premiers peuples du Canada, au droit international et aux organisations internationales pour faire avancer leurs droits. L’activité était organisée notamment par la Faculté de droit de l’Université Laval et la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux.
«Romeo Saganash est probablement le meilleur interlocuteur au Canada pour parler des questions entourant les droits des autochtones», indique Fannie Lafontaine, professeure à la Faculté et titulaire de la Chaire.
Juriste, négociateur et homme politique, récipiendaire en 2020 d'un doctorat honoris causa en droit de l’Université Laval, Romeo Saganash a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Promoteur infatigable de cette déclaration, il croit que des changements législatifs sont nécessaires pour remédier aux conditions de vie inacceptables des communautés autochtones.
«Très peu de gens sur la planète, explique le leader cri, ont passé leur été à l’ONU, et ce, pendant 23 ans, à discuter, négocier, débattre et rédiger ce qui allait devenir la Déclaration. Ces deux décennies, je les ai surnommées “le long portage”. Notre forum était le plus fréquenté. Entre 600 et 1200 personnes y assistaient tous les étés. Nous avons dû surmonter des défis. Au commencement, l’ONU refusait de nous reconnaître comme peuples ayant droit à l’autodétermination. Le groupe de travail parlait de nous comme des “populations» autochtones”.»
Le vote en assemblée générale a eu lieu le 13 septembre 2007. Résultat: 144 pays membres ont voté pour, 4 ont voté contre et 11 se sont abstenus. «Notre lobbying de juin à septembre a été un succès, poursuit-il. Je me suis rendu environ 50 fois à New York durant cette période. Cela nous a permis de convaincre deux blocs de pays n’ayant pas participé au processus, les Africains et les Asiatiques, lesquels forment la majorité à l’ONU.»
Un cadre juridique pour des centaines de millions d’Autochtones
La Déclaration affirme non seulement les droits des peuples autochtones à l’autodétermination, mais aussi à la langue, à la culture et aux terres ancestrales.
Le texte est un cadre juridique qui précise les droits inhérents ou préexistants des peuples autochtones. Sa négociation s’est faite avec les peuples autochtones, les États et les experts des Nations unies. Les droits énoncés constituent des normes minimales pour la survie, la dignité, la sécurité et le bien-être des peuples autochtones. En 2016, le Canada s’est engagé à adopter la Déclaration et à la mettre en œuvre sans réserve.
«La Déclaration, ajoute Romeo Saganash, est l’instrument en droit international le plus longuement discuté dans l’histoire des Nations unies. Elle couvre les droits spécifiques de quelque 400 millions d’autochtones répartis dans plus de 70 pays. Elle a été réaffirmée huit fois par consensus par l’Assemblée générale de l’ONU, ce qui veut dire qu’aucun pays au monde ne s’y oppose formellement. Le texte contient 46 articles. Il est plus élaboré que le concept de droits ancestraux dans la Constitution canadienne.»
À l’échelle canadienne, la Commission de vérité et réconciliation du Canada et la commission Viens, entre autres, ont demandé à tous les ordres de gouvernement d’adopter et de mettre en œuvre intégralement la Déclaration en tant que cadre du processus de réconciliation.
La Paix des braves
Romeo Saganash n’est pas né à Waswanipi, dans le nord du Québec, mais bien en forêt. Jusqu’à sept ans, il a vécu selon les valeurs et le mode de vie traditionnel de la nation crie. Par la suite, il a passé une décennie dans un pensionnat autochtone, à La Tuque. Ce déracinement éprouvant sera à la source de son engagement professionnel et politique.
En 1989, il est devenu le premier diplômé cri d’une faculté de droit au Québec, soit celle de l’Université du Québec à Montréal. Figure importante du Grand Conseil des Cris du Québec, il a participé aux négociations de la Paix des braves, une entente historique entre la nation crie et le gouvernement du Québec, signée en 2002. Il s’agissait d’une première mondiale entre une nation autochtone et un État. Par ce traité, les deux parties s’associaient dans la mise en valeur du territoire cri.
«J’ai été chanceux d’avoir Billy Diamond et Ted Moses comme mentors, souligne Romeo Saganash. Quand j’ai commencé à travailler avec Diamond, en 1981, il m’a dit quelque chose d’important. “J’ai négocié la Convention de la Baie-James en 1975. Il s’agira pour toi d’essayer d’améliorer ce que nous avons négocié.” C’est sur cette base que j’ai négocié la Paix des braves. Je trouve que les Cris ont été chanceux d’avoir autant de ressources naturelles qui ont permis ce développement économique.»
Il rappelle que la Convention de la Baie-James a été le premier traité moderne au Canada et le premier portant la signature d’une province. «Depuis 1975, dit-il, nous avons signé au-delà de 100 ententes pour le territoire cri. On ne peut aller de l’avant sans traité.»
Sur la scène politique fédérale, le leader cri a été député de la circonscription électorale d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, de 2011 à 2019, et porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de réconciliation.
Pour rappel, la première démarche de peuples autochtones canadiens auprès de l’ONU, en l’occurrence auprès de la Société des Nations, remonte à 1923. Cette année-là, un représentant des six peuples de la famille iroquoienne s’est rendu à Genève pour plaider la cause de la souveraineté des six nations formant la plus ancienne ligue d’Amérique du Nord. Il s’est heurté à une fin de non-recevoir.
Rappelons également que la Loi sur les Indiens, entrée en vigueur en 1876, a été modifiée plusieurs fois par la suite. Par exemple en 1951, à la suite du lobbying autochtone, le gouvernement fédéral a annulé l’interdiction des cérémonies traditionnelles. «Tout le monde veut l’abolition de la Loi sur les Indiens, affirme Romeo Saganash. Mais on la remplace par quoi?»