L'événement réunissait une vingtaine de spécialistes des OGM, qui ont formé l'Observatoire Transgène pour échanger sur les implications scientifiques et sociales de leur domaine, et quelques représentants des médias qui avaient accepté l'invitation des organisateurs. Ce ne sont pas les journalistes présents qui ont fait l'objet des doléances des chercheurs — il n'y a que les gens vertueux qui vont à la confesse —, mais de grosses pointures du journalisme québécois qui, du haut de leur tribune, exercent une grande influence sur l'opinion publique.
Erreurs factuelles, demi-vérités, préjugés et sensationnalisme sont monnaie courante dans les reportages sur les OGM, estiment les chercheurs. «Lorsque je vois les erreurs que contiennent les textes qui portent sur des sujets que je connais, je me demande s'il y en a autant dans les articles qui traitent de sujets que je ne connais pas», laisse tomber Dominique Michaud. Ce professeur du Département de phytologie, qui mène des recherches sur les plantes génétiquement modifiées, a déjà contacté une journaliste après la diffusion d'un reportage qui comportait une énorme erreur et il a été renversé par le peu de cas que celle-ci faisait de l'affaire, la limitant à une simple question de point de vue. «Il y a quand même des milliers de lecteurs qui ont été induits en erreur par ce reportage et ne pas faire de rectificatif constitue de la désinformation à mes yeux.»
Certains chercheurs ont aussi dénoncé le manichéisme des médias. «Si on ne dit pas qu'on est contre les OGM, on nous classe automatiquement du côté de ceux qui sont pour», dit Dominique Michaud, qui a goûté à cette médecine puisqu'il est catalogué comme partisan des OGM alors qu'il prétend à l'objectivité scientifique. «Lorsqu'on est nuancé, on n'est pas intéressant pour les médias», observe de son côté le professeur François Pothier, du Département de sciences animales. Ce spécialiste de la transgenèse animale et du clonage a souvent été mis à contribution par les médias au cours des dix dernières années, notamment lors d'émissions d'affaires publiques où la marge de manoeuvre pour expliquer des idées complexes est mince. «À l'émission Droit de parole, on insistait sur le fait que nos interventions ne devaient pas dépasser 15 secondes.»
En moins de 10 secondes
Qu'on le veuille ou non, ce sont les entreprises de presse qui fixent les règles du jeu, et du côté des médias électroniques, elles sont particulièrement contraignantes, comme l'a rappelé la journaliste scientifique Mélanie Robitaille. «Les médias sont au service de l'intérêt public, mais ils doivent aussi raconter des histoires intéressantes. À la radio, s'il n'y a pas d'entrevues, il n'y a pas d'histoire. À la télé, s'il n'y a pas d'images, il n'y a pas d'histoire. Les personnes interviewées doivent bien vulgariser en plus d'être dynamiques et concises. La durée moyenne d'un extrait à la radio ou à la télé est maintenant de 10 secondes ou moins.»
Ce format convient mal aux chercheurs qui souhaitent éduquer la population sur des enjeux scientifiques complexes, au point où certains, qui profitaient auparavant de toutes les tribunes qui leur étaient offertes, montrent maintenant des signes de blues médiatique où s'entremêlent lassitude et frustration. «Malgré toute l'information diffusée sur les OGM, le débat public n'a pas avancé au cours des dix dernières années», estime François Pothier. Dominique Michaud avoue de son côté ne plus trouver le temps de retourner les appels de certains journalistes avec qui il a eu de mauvaises expériences, il refuse les invitations d'émissions d'affaires publiques où on veut lui donner le rôle de défenseur des OGM et il ne donne plus d'entrevues s'il sait qu'elles feront l'objet de montage. «Ça exige beaucoup de temps et ils ne conservent que de courts extraits, souvent hors contexte, qui font bien leur affaire», déplore-t-il.
La science et les médias trouveront-ils un jour une voie mitoyenne qui conduira à la production d'une information scientifique de meilleure qualité? La réponse appartient peut-être à la troisième variable de l'équation, laisse entendre Lyne Létourneau, professeure d'éthique au Département des sciences animales. «On en demande déjà beaucoup aux médias, alors il ne faut pas espérer qu'en plus ils fassent l'éducation scientifique des citoyens, dit-elle. Il appartient plutôt à l'école de transmettre une plus grande culture scientifique aux jeunes afin de bien les préparer à exercer leur esprit critique et à faire des choix éclairés lorsqu'ils seront confrontés à des informations complexes et contradictoires dans des dossiers comme celui des OGM.»