«Le rythme de production très exigeant incite les producteurs à prendre des raccourcis qui les font tomber dans les clichés qu’ils voulaient éviter à l’origine», soutient Muriel Mille, qui a exploré, dans sa thèse de doctorat en sociologie, la représentation des rapports sociaux de sexe dans cette émission. Conférencière lors du midi-recherche de la Chaire d’études féministes Claire-Bonenfant, le 2 octobre, Muriel Mille a dévoilé les résultats de son étude qui illustre bien à quel point il est difficile de ne pas reproduire les stéréotypes dans l’univers télévisuel. Par exemple, malgré leurs bonnes intentions, les producteurs n’osent pas montrer des hommes qui s’éloignent trop de leur statut traditionnel de pourvoyeur parce qu’ils estiment que cela risquerait de nuire à la crédibilité du feuilleton ou de choquer le public.
En témoigne cette scène où l’on voit une jeune femme rassurer gentiment son amoureux, un étudiant en médecine, qui vit très mal le fait de ne pas pouvoir subvenir aux besoins financiers de sa douce. «Pas grave. Ce n’est que partie remise», dit en substance la belle, laissant entendre par là que son avenir est assuré vu le salaire avantageux que gagnera son futur. S’il arrive de voir apparaître en figuration une femme pompier ou chef de chantier, les personnages qui font le ménage dans les hôtels sont par contre tous de sexe féminin, comme c'est le cas, généralement, dans la vraie vie. Enfin, vous verrez rarement des personnages masculins s’adonner à des activités ménagères, comme si repasser une chemise ou passer l’aspirateur portait atteinte à leur virilité.
«On veut montrer qu’on est politiquement correct et qu’il y a égalité entre les hommes et les femmes, mais on craint en même temps que les personnages masculins soient trop féminins, explique Muriel Mille.» Au cours de sa recherche, la jeune sociologue a assisté à plusieurs réunions réunissant les scénaristes, le réalisateur, le directeur artistique adjoint, etc. Elle dit avoir sursauté en entendant des remarques sexistes, du genre «ce personnage [masculin] a des couilles, il faut les lui laisser». Les hommes utilisaient également des termes argotiques comme «gonzesses» ou «nanas» pour désigner certains personnages féminins du feuilleton, ce qui en soi n’est pas méchant mais ne respecte pas l’esprit du feuilleton qui se veut libre de tout sexisme.
«Plus belle la vie est l’une des premières émissions en France à avoir présenté des homosexuels en train de s’embrasser, souligne Muriel Mille. Elle n’a pas hésité non plus à débattre du mariage homosexuel quand le débat a eu lieu récemment en France. Dans le quartier du Mistral, on ne s’embarrasse pas non plus de la couleur de la peau et on n’a pas peur de montrer un Noir ou un Arabe avocat ou chef d’entreprise. Mais il semble que les stéréotypes concernant les rôles masculins et les rôles féminins soient plus difficiles à combattre…»