L’Habitation Loyola. Derrière ce nom se profile un succès agricole et commercial de l’aventure coloniale française en Amérique du Sud, plus précisément en Guyane française, entre 1668 et 1769. La réussite de cette plantation, qui avait une superficie de quelque 1000 hectares à son apogée, a été obtenue par des administrateurs religieux, des jésuites, qui s’appuyaient sur le labeur de centaines de personnes réduites en esclavage, à une époque où existait une relation particulière entre l’Église catholique et le système esclavagiste.
«L’Habitation Loyola a été fondée en 1668 à 12 kilomètres au sud de Cayenne, raconte Réginald Auger, professeur associé d’archéologie au Département des sciences historiques. Les jésuites se sont portés acquéreurs d’une petite plantation appartenant à un colon. Cette terre venait avec de la main-d’œuvre esclave importée d’Afrique et avec des installations et de l’équipement de production de sucre fait à partir de canne à sucre.»
Avec le temps, ce lieu de vie et de production modeste est devenu de plus en plus profitable grâce à la production de sucre, mais aussi de café et de cacao. Avec l’évolution des marchés s’ajoutèrent le coton et l’indigo.
«Ces produits, poursuit-il, étaient vendus sur les marchés européens dans le but de financer les activités d’évangélisation des jésuites, soit la création de missions auprès des autochtones de Guyane et d’Amazonie. Une autre source de revenus provenait des matériaux de construction, de la céramique et des outils agricoles de métal produits par des artisans esclaves et qui étaient vendus aux propriétaires d’autres plantations. Au milieu du 18e siècle, l’Habitation était devenue un impressionnant complexe architectural reflétant la puissance des jésuites dans la colonie.»
Le professeur Auger connaît bien ce dossier puisqu’il lui a consacré 22 ans de sa vie. Inlassablement, pendant plusieurs étés, il s’est rendu en Guyane française avec des étudiants pour mener des fouilles archéologiques sur le site abandonné depuis l’expulsion des jésuites, en 1769, par ordre de l’administration coloniale. En avril dernier, Réginald Auger et cinq collaborateurs, dont trois étudiants en archéologie de l’Université Laval, publiaient dans la revue scientifique en ligne, Journal of Jesuit Studies, un article synthèse des fouilles menées sur le site de l’Habitation Loyola depuis sa découverte en 1994.
«Si les jésuites ont été expulsés de Guyane, explique le professeur, c’est parce qu’ils étaient devenus une sorte d’État dans l’État. Ils étaient assez habiles à manipuler le système. Ils possédaient beaucoup plus d’esclaves que le nombre permis par l’autorité coloniale. La superficie de leur domaine dépassait de beaucoup ce qui était autorisé.»
En 1703, le nombre d’esclaves, hommes, femmes et enfants au service des communautés religieuses installées en Guyane, ne pouvait dépasser la centaine. En 1764, au moment de leur expulsion, les jésuites comptaient plus d’un millier d’esclaves sur le territoire guyanais, dont 417 à l’Habitation Loyola.
Chapelle, maison des pères, entrepôt et quartier des esclaves
L’Habitation Loyola comprenait une petite chapelle de plan rectangulaire pouvant accueillir une centaine de fidèles à la fois. Une simple porte perçait la façade que surmontait une cloche suspendue à un cadre en bois. La capacité restreinte de la chapelle faisait en sorte qu’un grand nombre de fidèles se rassemblaient à l’extérieur du bâtiment pour suivre la messe.
«On peut se demander comment un très petit nombre de jésuites pouvait exercer son emprise sur 200 à 300 esclaves, souligne Réginald Auger. Mais ceux-ci étaient baptisés avec des noms chrétiens dans la foi catholique. Or, la religion représentait un outil de persuasion puissant et un outil de contrôle efficace. Quand on se fait promettre le paradis à la fin de nos jours… Dans ce contexte, la cloche de la chapelle réglementait le travail quotidien, les périodes de repos et les rites religieux des esclaves. D’ailleurs, les documents d’archives des jésuites ne mentionnent aucun conflit à l’Habitation. Il y a eu des révoltes d’esclaves dans d’autres plantations, mais pas à Loyola.»
À côté se trouvait le cimetière d’une superficie approximative de 450 mètres carrés. Les sondages archéologiques ont permis de repérer plusieurs fosses d’inhumation sans restes humains. Sur ce territoire, les traces d’inhumation sont rares, car le climat, chaud et humide, et le sol, très acide, détériorent rapidement les restes organiques.
La maison des pères, un bâtiment de 24 mètres sur 10 mètres, occupait une position privilégiée qui permettait de voir les ateliers, les dépendances, la raffinerie de sucre, le moulin à vent et une grande partie des champs cultivés, ainsi que le quartier des esclaves, qui couvrait un peu plus d’un hectare, à environ 400 mètres en contrebas.
L’entrepôt servait à stocker des produits comestibles, des biens de valeur importés d’Europe et des outils nécessaires au fonctionnement d’une plantation. Le bâtiment mesurait 17,1 mètres sur 7,1 mètres.
Les recherches dans les documents d’archives de l’époque ont révélé très peu de choses sur les esclaves de la Guyane française. On ne connaît pas leur mode de vie, leurs coutumes, leurs croyances religieuses.
À l’Habitation Loyola, on sait toutefois que cette main-d’œuvre vivait dans des huttes construites la plupart du temps en bois. La majorité travaillait à la production de sucre. Certains s’occupaient des canots. D’autres étaient menuisiers, forgerons, chasseurs, maçons ou potiers. Le personnel de la maison des pères comprenait des domestiques, des cuisiniers, des femmes de ménage, des blanchisseuses et des couturières. Certains esclaves travaillaient comme éleveurs de bétail, d’autres comme jardiniers.
Selon le professeur Auger, l’espérance de vie n’était jamais très longue chez les esclaves vivant et travaillant dans ces plantations. Les maladies et les accidents étaient à l’origine de nombreux problèmes de santé qui pouvaient être fatals.
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