
Au cours des deux dernières décennies, des facteurs comme la mondialisation, les changements technologiques, les nouvelles logiques de marché et la transformation des attitudes des travailleurs à l'égard du travail ont changé la donne.
Ces changements et leurs conséquences sur les relations du travail au Québec sont au coeur de l'excellent documentaire Un monde du travail en mutation. Projeté le 22 novembre au pavillon Alphonse-Desjardins, le film d'une durée de 45 minutes est une production de Daniel Mercure, professeur au Département de sociologie, et de Pierre Fraser, sociologue. Sa particularité est qu'il accorde largement la parole à deux leaders du monde syndical, soit Louise Chabot, présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), et Jacques Létourneau, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
La projection du film était suivie d'une table ronde à laquelle participaient les deux chefs syndicaux de même que Daniel Mercure et Jean Bernier, professeur émérite au Département des relations industrielles. Ce professeur a amené la discussion sur les conséquences de la transformation du monde du travail sur les travailleurs autonomes ou indépendants. Comme ces personnes ne bénéficient pas du statut de salarié, ils ne sont pas non plus couverts par la Loi sur les normes du travail. Ils doivent subir tous les problèmes qu'entraîne la situation, particulièrement en cas de maladie ou d'absence de travail. Et on ne parle même pas des congés de maternité ou des congés parentaux…
À côté de ces travailleurs indépendants, on trouve les «faux indépendants», dont le statut est encore moins enviable, a souligné Jean Bernier. Ces «faux indépendants» travaillent dans des agences de location de personnel, aussi connues sous le nom d'agences de placement, un phénomène qui prend de plus en plus d'importance au Québec. Ces travailleurs se trouvent ainsi sous l'autorité d'un employeur, dans les mêmes conditions que leurs collègues salariés, mais sans bénéficier d'un contrat de travail. «Ces précaires parmi les précaires, "ces véritables exclus", insiste Jean Bernier, sont en majorité des immigrants qui n'ont souvent d'autre choix que d'accepter le travail qu'on leur propose. Contrairement à ce qui se passe ailleurs au Canada, il n'est pas interdit, au Québec, de combler des postes permanents par des salariés de ces agences.» Une question émerge: en cas de lésions professionnelles, qui, entre celui qui paie le travailleur (l'agence de location) et celui qui dirige le travail (l'entreprise), va dédommager le travailleur?
Bien au courant de cette prolifération des agences de location de personnel, le président de la CSN, Jacques Létourneau, estime que le fossé entre syndiqués et non-syndiqués ne peut que continuer à s'élargir, surtout si le monde syndical continue à ne pas s'intéresser aux besoins et aux préoccupations de cette catégorie de travailleurs. «Il s'agit là d'un défi pour les syndicats, soutient Jacques Létourneau. Mais actuellement, la réalité est la suivante: dans la société québécoise, vous êtes protégé uniquement quand vous êtes syndiqué.» Cela dit, même des travailleurs syndiqués qui ont travaillé 35 ou 40 ans pour la même entreprise sont affectés par les changements touchant le monde du travail, a expliqué Daniel Mercure. C'est le cas de quinquagénaires ou de sexagénaires qui ont perdu leur emploi parce que l'usine ou la manufacture a connu des difficultés ou encore a fermé ses portes. Pour arriver à joindre les deux bouts, ces personnes vont être contraintes d'exercer des emplois payés au salaire minimum, et cela au moment même où elles pourraient jouir pleinement de leur retraite. C'est un triste constat qui témoigne des transformations du monde du travail, rappelle Daniel Mercure.
Visionnez le documentaire: