13 décembre 2019
Le creuset culturel
Pour la première fois, le Centre de recherche Cultures – Arts – Sociétés et la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles ont tenu une journée d’études sur le rôle joué par la culture pour l’intégration des immigrants
La population québécoise se diversifie depuis plusieurs décennies, mais cette réalité multiculturelle reste cruellement absente des productions culturelles grand public. Les séries québécoises télévisées, sans parler des pièces de théâtre, comptent très peu de héros ou d’héroïnes issus de minorités visibles. Pourtant, le Québec et le Canada s’engagent depuis 2005 avec la Convention de l’UNESCO à protéger et à faire la promotion de la diversité des expressions cultuelles, comme plus de 146 États et regroupements de pays à travers le monde. «La mise en place de politiques culturelles spécifiques constitue une source pertinente d’échanges, affirme Véronique Guèvremont, professeure à la Faculté de droit et titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles. La culture peut aussi favoriser l’intégration des migrants dans la société.»
Une analyse que partage lvana Otasevic, directrice adjointe et coordonnatrice de cette Chaire. «Les migrants ont encore de la difficulté à trouver leur place dans la vie culturelle d’ici», souligne-t-elle. Des études prouvent pourtant l’importance de la culture comme moteur d’intégration à la société d’ici. Stéphanie Arsenault, professeure à l’École de travail social et de criminologie a ainsi pu constater les bienfaits du projet Chantons ensemble, mis en place il y a deux ans par la Faculté de musique de l’Université Laval. «Des réfugiés et des immigrants ont créé et interprété la chanson La Langue de nos âmes avec des Québécois de naissance, raconte la chercheuse. Ils ont souligné se sentir plus intégrés quand ils comprennent les codes et la culture d’ici, et lorsqu’ils sont en relation avec d’autres personnes. “On formait une vraie équipe, avec un seul et même esprit”, a ainsi confié l’une des participantes.»
La politique culturelle d’intégration très active, menée par la municipalité de Vaudreuil-Dorion, témoigne aussi du rôle de la culture pour briser l’isolement. En 20 ans, la population de cette localité, située aux portes de Montréal, a plus que doublé, tandis que le nombre de personnes ne parlant pas français a grimpé à 45%. «Dès 2009, les élus se préoccupaient de la possible mise en place de ghettos dans notre ville, témoigne Michel Vallée, directeur du Service des loisirs et de la culture à Vaudreuil. L’année suivante, nous mettions en place, le programme Je suis, soit une trentaine d’activités culturelles déclinées en 600 ateliers.»
Basée sur la mixité, cette politique de médiation culturelle ne vise pas que les immigrants. Elle s’adresse aussi aux personnes âgées, aux enfants, aux habitants de longue date, bref à tous ceux qui ont intérêt à se rapprocher pour faire tomber leurs préjugés mutuels. Quelques exemples de passerelles culturelles? Jumeler le Cercle des fermières avec un groupe de résidents indiens lors du Défilé Mosaïque. Le but: faire travailler plus d’un millier de personnes ensemble sur des chars allégoriques. Autre réalisation, une fresque sur une tour de château d’eau de 137 pieds, peinte par des centaines de résidents, dont la moitié venait de l’extérieur du Canada. Si les résultats semblent globalement positifs, ils ne sont pas pour autant miraculeux. «Depuis deux ans, les commentaires agressifs se multiplient sur les réseaux sociaux, notamment pour se plaindre de la présence des turbans de la communauté indienne dans le défilé», soupire Michel Vallée.
De telles réactions n’étonnent pas la professeure au Département de géographie Danièle Bélanger. «Certaines forces politiques actuellement ont tendance à instrumentaliser la population immigrante, note la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales. Les municipalités, les écoles, les universités ont un rôle important à jouer pour contrecarrer ce discours xénophobe, en humanisant les immigrants.» La coordonnatrice du Centre de recherche Cultures – Arts – Sociétés (CELAT), Hélène Giguère, a d’ailleurs profité de la journée d’étude pour présenter l’initiative de l’École d’été qui aura lieu en mai 2020. À cette occasion, des étudiants seront jumelés avec des immigrants afin de recueillir leur récit de vie et des objets significatifs pour eux. Ce projet réalisé en collaboration avec le Musée de la civilisation et le Centre multiethnique devrait contribuer à rapprocher l’ici de l’ailleurs.