Pèlerinage, marche pèlerine et marche de longue durée au Québec. Tel est le titre d’un récent ouvrage collectif de 354 pages publié aux Presses de l’Université Laval (PUL). Ce livre a été réalisé sous la direction de Michel O’Neill, professeur à la retraite de la Faculté des sciences infirmières, et d’Éric Laliberté, étudiant au doctorat en théologie. Le sujet de recherche de ce dernier porte sur Compostelle comme modèle de référence de l’expérience pèlerine dans sa dimension spirituelle.
«Dans mes travaux sur le phénomène pèlerin au Québec, j’ai répertorié une trentaine de parcours de longue ou de courte durée, explique Michel O’Neill. J’ai estimé qu’entre 1999 et 2019, ces parcours avaient attiré un total d’environ 16 000 personnes. L’intérêt québécois pour la marche pèlerine s’inscrit dans un mouvement planétaire qui a eu, comme point de départ, le succès fulgurant des chemins de Compostelle depuis une quarantaine d’années. Pour 2019, j’ai estimé que 3784 personnes du Québec avaient marché sur ces chemins.»
Compostelle n’a nul besoin de présentation. Ses authentiques chemins de pèlerinage chrétien, vieux de 1200 ans, ont été marchés par des millions de croyants au fil des siècles. Récemment remis au goût du jour, le fait de marcher dans la durée vers ce sanctuaire chrétien millénaire a conquis le monde.
Longs de quelque 750 kilomètres et durent plus d’un mois, ces parcours relient le sud-ouest de la France et le nord-ouest de l’Espagne. Aujourd’hui, le pèlerin moderne fait Compostelle pour un ensemble de raisons qui transcendent largement la dévotion religieuse, sans nécessairement toujours l’exclure. Ces motivations peuvent être touristiques, spirituelles, culturelles, sportives ou autres. On estime à environ 800 le nombre de chemins pèlerins à travers le monde. Certains sont d’anciens chemins de pèlerinage ayant été revitalisés, balisés et publicisés. D’autres ont été créés. En 2017, plus de 300 000 personnes ont fait à pied le chemin vers Saint-Jacques-de-Compostelle. En 2019, les marcheurs provenaient de près de 170 pays. Le plus important demeure, et de loin, l’Espagne avec 42,1% du total.
Des quêtes personnelles à pied
Les études pèlerines constituent une réalité familière à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (FTSR). Le professeur Jean-Philippe Perreault, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Jeunes et religions, signe la préface de Pèlerinage, marche pèlerine et marche de longue durée au Québec. En 2018, la Chaire avait créé une école d’été sur le phénomène pèlerin. Cette formation théorique se concluait par une randonnée à pied de 125 kilomètres en 6 jours en Gaspésie. Vingt-six étudiants de premier cycle, âgés de 21 à 62 ans, la moitié d’entre eux inscrits en théologie, avaient marché ce parcours.
Éric Laliberté était le responsable de l’école d’été. Il a aussi coorganisé la marche pèlerine en Gaspésie où il a agi comme accompagnateur. Il avait alors déclaré: «Une expérience spirituelle, qu'est-ce que cela signifie au 21e siècle? Le pèlerinage n'est plus rattaché à la religion catholique. Cela dit, il n'exclut pas la croyance religieuse. Les pèlerins viennent quand même réfléchir sur leur spiritualité. Si certains viennent vivre quelque chose pour eux, d'autres viennent réfléchir au sens de la vie.»
En 2018, Michel O’Neill et Éric Laliberté ont proposé à la Chaire de leadership en enseignement Jeunes et religions de s’investir activement dans les études pèlerines autour de trois pôles: enseignement, recherche et mise en place d’un réseau francophone pour le développement et la transmission de connaissances dans le domaine. Ce réseau est en train de prendre forme. Il s’inspire de l’Institute for Pilgrimage Studies du College of William and Mary, aux États-Unis. Par ailleurs, en avril dernier, les deux chercheurs ont animé pas moins de cinq tables rondes sur les études pèlerines québécoises dans le cadre du premier congrès biennal de la Société québécoise pour l’étude de la religion. Enfin, à compter de l’automne 2021, la FTSR offrira un microprogramme de premier cycle en études pèlerines.
Arpenter son intériorité
Les deux codirecteurs signent l’introduction et la conclusion de Pèlerinage, marche pèlerine et marche de longue durée au Québec. Ils sont aussi chacun l’auteur d’un chapitre du livre, lequel en compte 17.
Le chercheur et randonneur au long cours Michel O’Neill est l’auteur du livre Entre Saint-Jacques-de-Compostelle et Sainte-Anne-de-Beaupré, sous-titré La marche pèlerine québécoise depuis les années 1990. Cet ouvrage est paru aux PUL en 2017.
Dans son chapitre, ce dernier propose des observations détaillées sur la manière dont la marche pèlerine a pris de l’ampleur au Québec depuis les années 1990, et ce, que ce soit sur les chemins de Compostelle, en Europe, ou sur les chemins «à la Compostelle», démarrés au Québec ou ailleurs dans le monde.
«Quand, en 2003, je suis parti pour la première fois sur les chemins de Compostelle pour y fêter ma cinquantaine, ce n’était vraiment pas par dévotion, ni non plus pour y faire de la recherche sur ce thème, écrit-il. C’était principalement pour me donner un temps de pause au mitan de ma vie, loin de la frénésie universitaire, à faire une activité à laquelle je ne m’étais jamais adonné. Je voulais faire quelque chose de particulier et je voulais marcher seul. J’ai depuis marché près de 3400 kilomètres sur des chemins européens. J’étudie depuis 2015 la marche pèlerine québécoise, tant à l’extérieur du Québec que sur son territoire. Au Québec, depuis 2015, j’ai usé mes bottes et bâtons sur environ 1100 kilomètres.»
Ses observations portent notamment sur le genre et l’âge de ceux et celles qui font Compostelle. Ainsi, en 2019, l’ensemble des marcheurs se subdivisaient presque à égalité entre hommes (48,8%) et femmes (51,2%). Chez les marcheurs québécois, en revanche, les femmes étaient nettement majoritaires cette année-là, soit 61,2% contre 38,8% d’hommes.
«La féminisation du pèlerinage vers Compostelle est une tendance lourde, à l’avant-garde de laquelle le Québec s’est toujours situé», affirme Michel O’Neill.
Selon lui, une autre tendance lourde s’est affirmée, soit un certain vieillissement des marcheurs, et ce, autant dans l’ensemble des pèlerins que chez les participants québécois. En 2019, les 30-60 ans représentaient un peu plus de la moitié d’entre eux.
Dans son chapitre, Éric Laliberté explique la création d’un nouveau paradigme pèlerin, amené par le regain de popularité de Compostelle depuis les années 1980. Ce paradigme insère le pèlerinage religieux dans des courants spirituels plus larges, et souvent plus séculiers, de déplacements des populations humaines.
«Désormais, écrit-il, il est question de pèlerinage lorsque des fans se rendent sur les tombes de Jim Morrison, Elvis Presley ou Johnny Hallyday; lorsqu’un groupe de mordus assistent à la Coupe du monde de soccer, ou quand des individus visitent des lieux de grandes tragédies historiques tels Auschwitz ou Hiroshima. […] C’est toutefois Compostelle qui colore particulièrement le domaine: par l’intérêt qu’il suscite, mais aussi par les nouvelles frontières qu’il tend à proposer au spirituel […]. Nous avons un laboratoire extraordinaire avec Compostelle où la spiritualité est affranchie du religieux.»
Selon lui, un des enjeux de la marche pèlerine est le temps. «La durée transforme l’expérience, souligne-t-il. On touche à un espace spirituel qui est à redéfinir. Quelque chose nous parle au-delà de l’objet pèlerin, quelque chose qui relève de la saveur, qui se goûte, qui s’expérimente.»
En conclusion, les deux chercheurs croient que de plus en plus de Québécois seront incités à pratiquer la marche pèlerine dans cette époque trouble.