
L'arrivée d'un nombre considérable de réfugiés syriens sur le versant sud-est de l'Union européenne a causé une véritable crise au sein des pays membres.
— Socrates Baltagianni
Le professeur Francesco Cavatorta, du Département de science politique, a prononcé la première conférence du colloque. Son exposé a porté sur la politique étrangère de l'Union européenne sous l'angle de la guerre civile en Syrie. Sa communication était tirée d'un texte qu'il a coécrit avec l'étudiant Pierre-Michel Turcotte, inscrit au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales. Cet article constituera l'un des chapitres d'un ouvrage collectif à paraître sous le titre de The Syrian Uprising: Regional and National Contexts – volume 2.
Selon le professeur, l'Union a fait des progrès assez importants pour se doter d'une politique étrangère et d'une politique sécuritaire communes à l'ensemble de ses États membres. «Mais, poursuit ce spécialiste du Moyen-Orient, tout cela n'est encore qu'à un stade embryonnaire. C'est qu'il est assez difficile de mettre ensemble 27 pays tout à fait différents et ayant des intérêts stratégiques différents. On peut penser ici à la Finlande, qui s'intéresse davantage à ce qui se passe en Russie qu'en Méditerranée.» Le professeur Cavatorta croit que l'Union souffre de graves problèmes institutionnels. «Les États membres, affirme-t-il, ne veulent pas dialoguer. Il n'y a donc pas de véritable mise en commun lors de graves crises de politique internationale parce que les intérêts et les lectures de ces crises diffèrent grandement. Et lorsque surviennent des crises, c'est chacun pour soi.»
Ces dernières années, trois crises relatives à la situation en Syrie ont démontré à quel point l'Union est incapable de parler d'une seule voix, forte, indépendante et crédible. La première de ces crises a débuté le 1er juin 2013. À partir de ce moment, les pays membres étaient libres d'expédier des armes à la Syrie, à la condition qu'elles ne servent qu'à la protection des civils. Durant les négociations pour en arriver à cet accord, l'Autriche et les Pays-Bas en particulier ont exprimé leur opposition avant de se rallier. Leurs représentants craignaient que l'on perçoive la prise de position de l'Union dans une guerre civile comme une trahison de ses propres valeurs.
Un deuxième événement mis de l'avant par les chercheurs est l'emploi présumé d'armes chimiques par Damas contre sa population civile. Dès 2013, des accusations étaient portées en ce sens par la communauté internationale. Washington avait alors menacé le régime Assad d'une intervention militaire s'il franchissait cette «ligne rouge». De son côté, la France se déclara prête à intervenir aux côtés des États-Unis. Elle tenta en vain de rassembler les autres États membres de l'Union dans une intervention militaire semblable à celle en Libye en 2011. Mais la vaste majorité refusa. «L'Union, écrivent les deux chercheurs, n'est pas conçue pour discuter d'interventions militaires, encore moins pour les mener à terme.»
Une autre source de divisions au sein de l'Union est la crise des millions de réfugiés syriens fuyant la guerre et cherchant à refaire leur vie dans les pays limitrophes, comme la Turquie, ou bien en Europe. Selon Francesco Cavatorta, on aurait pu s'attendre à ce que l'Union soit capable de gérer cette crise, compte tenu de son ouverture en matière d'aide humanitaire, de droits de la personne et de droit d'asile. Mais la réalité fut tout autre. Les États membres se sont ouvertement défiés. Aucun plan n'a vu le jour. Des désaccords profonds sont survenus. La stabilité de l'Union a été affectée.
Quatre importantes élections auront lieu dans les prochains mois au sein de l'Union, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. «Après, les nouveaux leaders vont probablement revoir les dossiers les plus importants, comme la monnaie unique, le Brexit et la Syrie, explique le professeur Cavatorta. Compte tenu de leur poids, ils donneront peut-être une nouvelle impulsion pour la conclusion d'un accord de politique étrangère.»