
Les rappeurs québécois ont souvent recours au franglais pour s'exprimer. C'est le cas du collectif Alaclair Ensemble, dont le style coloré le distingue du reste de l'industrie.
— Alaclair Ensemble
Avec sa collègue, Anne-Julie Asselin, il s'intéresse à l'univers du hip-hop québécois. Ce mouvement, rappelons-le, est apparu au début des années 1970 chez nos voisins du Sud. Il réunit plusieurs sphères qui se nourrissent entre elles, soit le rap, le DJing, le graffiti et le break dance. À l'origine, il visait à donner une voix aux jeunes des quartiers populaires, qui n'hésitaient pas à critiquer le système.
Grands mélomanes, Anne-Julie Asselin et Jean-Philippe Béchard ont voulu dresser le portrait de ce mouvement au Québec. Les étudiants ont épluché la littérature scientifique et des paroles de chansons, en plus d'effectuer des entrevues et de recueillir des commentaires sur les réseaux sociaux. Le fruit de leur recherche a été présenté en avril au 1er Colloque des finissantes et finissants en anthropologie de l'Université Laval. Leur conclusion? «Autrefois très politisé, le rap québécois est aujourd'hui complètement éclaté. Il n'y a plus de suite logique. Il reflète extrêmement bien la société du Québec, où la notion de culture est floue. Ce phénomène peut s'expliquer par nos nombreuses influences artistiques et par notre histoire», croit Anne-Julie Asselin.
Le hip-hop québécois ne forme pas une famille bien définie, il n'empêche que tous les groupes semblent partager une vision commune. «Pour qu'une culture soit culture, il faut qu'il y ait collectivité. N'importe qui est libre de s'identifier à la culture hip-hop, mais c'est la communauté qui décide s'il est digne d'en faire partie. Si un artiste réalise une action aberrante, qui ne colle pas à l'idéologie du mouvement, ses pairs ne le reconnaîtront pas comme faisant partie de ce mouvement», poursuit l'étudiante.
Un autre élément qui ressort de leur étude est celui du mélange des langues, signe d'une jeunesse immergée dans un Québec multiculturel. Polyglottes, les rappeurs pigent dans les dictionnaires de Molière et de Shakespeare, intégrant à leurs textes de l'espagnol, du créole, du portugais ou de l'inuktitut. Plusieurs ont recours au franglais en utilisant des expressions colorées. Des groupes comme Loud Lary Ajust et Dead Obies en ont fait leur marque de commerce. «Rappelle-toi qu'on est parti de nothing, pis que ma moms work à l'usine sur le nightshift», clament ces derniers sur la pièce Montréal $ud. «Décharge le magnum, pis make it happen! C'est en prenant le temps qu'on va keep la passion», renchérit Alaclair Ensemble, bien connu pour ses rythmes accrocheurs.
Pour Jean-Philippe Béchard, de telles chansons offrent un regard évocateur sur la société. Encadré par Isabelle Henrion-Dourcy, professeure au Département d'anthropologie, il prépare un autre projet de recherche, qui portera sur les stéréotypes de genres véhiculés par la musique hip-hop. «Parce qu'ils rapportent une réalité de leur milieu, on peut considérer les rappeurs comme des ethnographes de la rue. Certains s'inscrivent dans une démarche intellectuelle comparable à ce qui peut être fait dans le monde scientifique», va-t-il jusqu'à dire.