Syrie, 2011, sous le régime de Bachar Al-Assad. Une fillette de 11 ans, retenue en otage pendant 45 jours par des soldats qui recherchent son père soupçonné de terrorisme, est battue et violée à répétition par ses tortionnaires. Elle en restera marquée à jamais, les organes génitaux meurtris et la mémoire hantée par ces instants d’horreur. Les auteurs de ce crime, eux, ne seront jamais inquiétés ni punis. Il n’y aura pas d’accusation, pas de procès. Et pour cause: la violence sexuelle en temps de guerre n’est jamais ou très rarement punie. Érigées en système, dûment planifiées pour détruire des femmes, des familles, des villages entiers, les violences sexuelles en temps de guerre agissent comme une arme radioactive, en ce sens que leurs retombées brisent les liens qui tissent une société.
Le triste exemple cité ci-dessus est tiré du film Zero Impunity, ce long-métrage documentaire présenté le 15 septembre au Musée national des beaux-arts du Québec à l’occasion du Festival de cinéma de Québec (FCVQ). Réalisé par Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies et Denis Lambert, ce film milite pour la reconnaissance et la sanction juridique des violences sexuelles en temps de conflit armé. La projection du dimanche 15 septembre était le fruit d’un partenariat entre la Faculté de droit et le FCVQ. Comme l’a souligné la doyenne de la Faculté de droit, Anne-Marie Laflamme, avant la projection, le thème de Zero Impunity est au cœur du champ d’expertise pour lequel la Faculté de droit se distingue au Québec, au Canada et à l’international.
«Depuis plusieurs années, la Faculté offre une programmation d’enseignement et de recherche de premier plan dans les domaines du droit international relatifs à la justice pénale, aux droits et libertés fondamentaux et aux conflits armés», a rappelé la doyenne devant une centaine de spectatrices et spectateurs, dont plusieurs étudiaient à la faculté. Le film était suivi d’une table ronde animée par la journaliste Sophie Langlois, qui a été notamment correspondante de Radio-Canada pour l’Afrique durant six ans. Participaient à cette discussion Fannie Lafontaine, professeure à la Faculté de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux ainsi que deux doctorants dont elle dirige les recherches, Claire Magnoux et Moussa Bienvenu Haba.
«L’indignation me monte à la gorge quand je regarde ce film, a expliqué Fannie Lafontaine. Pour les chercheurs et les étudiants, Zero Impunity est un outil pédagogique dont nous allons nous servir en classe. Il faut savoir que le thème de la violence sexuelle met souvent les étudiants mal à l’aise. S’ils ont le choix de choisir un autre sujet que celui-là, ils vont le faire. C’est un sujet un peu tabou.»
Le viol en temps de guerre est un crime invisible, rapportent les réalisateurs de Zero Impunity. À travers différents témoignages de victimes, mais aussi de journalistes, de chercheurs et de militants, on comprend que les victimes ne portent pas plainte parce qu’il n’y a personne pour les entendre. On viole et on outrage en toute impunité, même dans les pays libres et démocratiques comme les États-Unis, même si dans les faits, la loi américaine l’interdit. En témoignent les tortures subies par des détenus de la prison américaine de Guantanamo, et ce, avec la bénédiction du gouvernement de George W. Bush en réponse aux attentats terroristes du 11 septembre. On parle notamment de privation de sommeil, de simulation de noyade, de nudité forcée, etc.
Le film fait également état des «viols maquillés» perpétrés par la Force de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies, les Casques bleus, avec des jeunes filles mineures. Dans la région du Kivu, en République démocratique du Congo, il est courant que des filles, affligées par la pauvreté, s’adonnent à ce qu’on appelle «la prostitution de survie» avec ces soldats, dont la mission consiste pourtant à protéger la population civile lors de conflits armés. De retour dans leur pays, ces soldats qui ont abusé de leur pouvoir ne seront pas jugés et poursuivront leur vie en toute impunité.
«Les efforts ne doivent pas venir seulement de la justice pénale, qui est nécessaire mais actuellement insuffisante et inadéquate, soutient Fannie Lafontaine. Les violences sexuelles commises en temps de guerre sont le résultat des inégalités de genre. On peut tracer un parallèle avec le mouvement de dénonciation Me Too, qui a permis de faire avancer les choses. Les efforts doivent être complémentaires. Par exemple, on peut faire de la prévention auprès des militaires, essayer de briser le modèle de l’hypermasculinité… L’énergie de notre indignation peut contribuer à changer les choses.»