Le numérique est aujourd'hui omniprésent en politique et, à cause de la pandémie de COVID-19, il risque bien de l'être encore plus – à tout le moins pour les prochaines campagnes, voire au-delà. De quelle façon? Et avec quelles répercussions? Quelques éléments de réponse peuvent être trouvés dans une conférence offerte par l'étudiant au doctorat en science politique à l'Université Laval, Philippe R. Dubois, à l'occasion de la Journée de la relève en intelligence et données présentée le 9 avril dans le cadre de la Semaine numériqc.
Mais d'abord, un pas de recul: il importe de parler de marketing politique. En la matière, deux tendances lourdes liées à l'usage des données se démarquent, selon le politicologue: certains partis visent à vendre leur programme, d'autres à le développer. «Certaines formations vont designer leur programme politique sur la base de l'intelligence de marché, c'est-à-dire qu'on cherche à qui l'on veut parler et qu'on crée un message qui est basé sur des besoins», explique-t-il. Ça, c'est l'approche du parti «orienté marché». «L'autre approche, orientée vente, est celle qu'on retrouve le plus dans nos démocraties, avec plusieurs partis qui existent depuis longtemps, qui traînent un bagage historique et qui ne peuvent changer d'opinion au gré du vent. Dans leur cas, l'usage des données leur permet de cibler le bon message à présenter au bon électeur, à bien cibler pour faire des gains.»
De ce fait, les partis cherchent de moins en moins à convaincre les électeurs et de plus en plus à les conforter. L'usage des données contribue largement au déploiement de cette stratégie, entre autres par microciblage.
Des données de sources diverses
Quelles données sont disponibles? D'abord, il y a la liste électorale fournie par le Directeur général des élections: chaque parti possède ainsi le nom ou l'adresse. «C'est la base des profils qu'ils vont ensuite définir», poursuit Philippe R. Dubois. À cela, on ajoute également les adresses courriel ou les profils de médias sociaux – qu'on obtient notamment par l'entremise des classiques pétitions en ligne, ainsi que par les données du recensement ou encore d'observations recueillies lors d'opérations de porte-à-porte.
«Toute cette information leur permet de savoir qui sont les électeurs qui seront les plus payants pour eux, d'un point de vue électoral, et ceux sur lesquels ça ne vaut pas la peine d'investir des ressources qui sont, somme toute, limitées.»
Sur les médias sociaux, cette approche permet également aux partis d'avoir une approche de plus en plus personnalisée. On peut ainsi offrir une multiplicité de messages, qui vont rejoindre autant de publics, mais qui restent presque invisibles aux publics qu'ils ne concernent pas.
Des préoccupations pour la démocratie
Évidemment, ces stratégies amènent leur lot de préoccupations, avec au premier chef la perte d'occasions de délibération. «En choisissant les électeurs les plus utiles, on choisit sciemment d'en ignorer certains, alors qu'en démocratie, selon le principe du droit à l'information, on devrait plutôt s'attendre à ce que tout le monde ait accès aux mêmes informations pour faire un choix éclairé», observe Philippe R. Dubois.
Cette stratégie représente également des enjeux pour les organismes chargés de surveiller le déroulement des campagnes. «Si les autorités publiques ont de moins en moins accès à ce qui se fait en matière de publicité en ligne, il est donc de plus en plus difficile pour elles de s'assurer du respect des règles électorales. On peut bien dire qu'il n'y a pas de fausses publicités au Canada, mais dans l'absolu, on n'a pas d'outil pour monitorer ce qui se dit réellement sur les médias sociaux.»
Cela, c'est sans compter que d'importants budgets sont nécessaires pour déployer ce type de solution, tant pour la collecte de données que pour leur analyse et leur usage. «Les plus grands acteurs ont le plus de ressources, et donc plus de capacité à exploiter ce matériel. Les inégalités observées hors ligne entre les acteurs politiques sont ainsi répercutées en ligne», analyse l'étudiant au doctorat.
Ces questions complexes sont exacerbées en raison de la pandémie de COVID-19, alors que les partis politiques se tournent de plus en plus vers le numérique pour rejoindre leurs électeurs. Les solutions à mettre en place dépendent, elles aussi, du politique – «après tout, il y a des choix qui peuvent être faits – ou non – pour répondre à ces questions-là», conclut Philippe R. Dubois.