De 1959 à 1983, le Québec a vécu en accéléré afin de rattraper son retard sur la modernité. Et quel rattrapage ce fut! Les années 1960 ont notamment vu la création du ministère de l’Éducation et de la Caisse de dépôt et placement. Le rapport Parent a recommandé l’accès pour tous à l’université et la création des cégeps. L’électricité a été nationalisée et une formation politique vouée à l’indépendance, le Parti québécois, a vu le jour. Les années 1970, elles, ont notamment vu la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, un traité qui encadre les relations entre l’État québécois et des nations autochtones. La décennie a vu aussi la prise du pouvoir par le Parti québécois et subséquemment l’adoption de la Loi 101 et de la Charte de la langue française. Mentionnons également la tenue d’un premier référendum sur le projet de souveraineté du Québec.
«Il y a consensus aujourd’hui que ce quart de siècle fut important», affirme le professeur Martin Pâquet, du Département des sciences historiques de l’Université Laval. Avec son confrère de l’Université du Québec à Montréal, Stéphane Savard, il cosigne un essai de 280 pages paru dernièrement aux Éditions du Boréal sous le titre Brève histoire de la Révolution tranquille.
«La Révolution tranquille est un monde particulièrement complexe, poursuit-il. Nous avions un problème: le saisir dans son ensemble. On ne peut rien retrancher. Nous considérons que ces années constituent un bloc, pas uniforme, et traversé par des nervures ou des fissures. Pour cerner cette période, il nous fallait un lien entre plusieurs éléments disparates. Il nous est apparu que l’État québécois représentait ce lien comme moteur de développement, comme la pierre angulaire de l’émancipation des Canadiens français.»
À l’origine de ce projet de livre, il y avait une volonté, celle de faire le point sur une volumineuse documentation scientifique. «Nous considérions important de faire la synthèse des recherches pour une compréhension globale de cette période, explique le professeur Pâquet. L’an 2021 commémore différents moments de la Révolution tranquille. Cette année marque le 55e anniversaire du dépôt du troisième et dernier tome du rapport Parent et le 45e anniversaire de la prise du pouvoir par le Parti québécois. L’an prochain marquera le 40e anniversaire de la Loi constitutionnelle de 1982, à laquelle le Québec n’a pas adhéré.»
Deux dates ouvrent et ferment la Révolution tranquille. D’abord 1959 avec le décès du premier ministre unioniste Maurice Duplessis, après 15 années à la tête de l’État. Quelques mois après, le Parti libéral dirigé par Jean Lesage prendra le pouvoir. Ensuite 1983. Dans un Québec dirigé par un gouvernement péquiste, une loi spéciale, la loi 111 dite «loi matraque», est votée. Elle assure le retour au travail des employés des collèges et écoles du système public alors en grève illégale. Le modèle étatique, qui avait prévalu au Québec durant les années 1960 et 1970 et qui était basé sur l’État-providence et l’intervention de l’État, traversait une crise.
«L’émergence néolibérale du début des années 1980, dit-il, marque la fin de l’État-providence comme moteur de développement économique, social et culturel, tout comme la fin du duplessisme en 1959 marque la fin d’une longue époque conservatrice dominée par l’Église catholique.»
Des années effervescentes
Selon Martin Pâquet, la Révolution tranquille ne s’est pas déroulée en vase clos. «Le Québec, soutient-il, participe aux grands changements que l’on voit dans le monde à cette époque. Ailleurs, l’État-providence apparaît comme un moyen assez efficace pour la démocratisation en assurant l’accès à l’éducation. Le Québec participe au baby-boom, soit à l’explosion des naissances après la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la sécularisation dans le monde.»
Au Québec, la population est interpellée par plusieurs enjeux, dont la question nationale, les droits des femmes et les droits des Autochtones. Il y a aussi eu les opérations Dignité au début des années 1970. Ce mouvement de protestation sociale s’est déroulé dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Les gens disaient: «Je tiens à garder mon village, certains d'entre eux étant menacés de fermeture». Ce mouvement a été propre à l’histoire du Québec.
Une grande créativité culturelle et civique caractérise les années 1970. De nombreux artistes deviennent compagnons de route des militants nationalistes. Un des thèmes propres aux artistes québécois sera le nationalisme. «Plusieurs vont s’exprimer par rapport à cela, indique le professeur. Ils se sentent interpellés par les causes sociales et politiques de l’époque. Le réalisateur de films d’animation Frédéric Back est particulièrement sensible à la cause environnementale dès les années 1970.»
Des dizaines de personnalités actives durant la Révolution tranquille occupent une place de choix dans la toponymie québécoise. Mentionnons, à titre d’exemple, le chansonnier Félix Leclerc dont le nom a été donné à 87 lieux. Il est suivi du premier ministre Jean Lesage avec 80 noms. «Ces personnalités, dont les noms ont été donnés à des rues, des boulevards, des parcs, des édifices gouvernementaux, des cégeps ou des barrages hydro-électriques, sont des hommes, dans bien des cas, souligne-t-il. Les communautés culturelles sont peu présentes. Les universitaires également. On trouve relativement peu d’anglophones dans cette liste. Pourtant, ils ont eux aussi participé à la Révolution tranquille.»
Le legs de la Révolution tranquille, quelle place a-t-il dans l’histoire du Québec? Quelle mémoire doit-on en conserver? Selon Martin Pâquet, ce legs est à la fois riche et durable. «Le bilan de la Révolution tranquille est foncièrement positif, dit-il. Elle est devenue une espèce de référence commune où l’on peut piger pour appuyer ses thèses. Dans l’actuel débat sur le pluralisme de la société québécoise, tout le monde s’y réfère.» Selon lui, il n’est pas rare de voir les membres des partis politiques et des groupes de pression se revendiquer de l’héritage de la Révolution tranquille.
La grève étudiante générale et illimitée de 2012, surnommée «le printemps érable» et dénonçant l'augmentation projetée des droits de scolarité universitaires, est éclairante à ce chapitre. Du côté gouvernemental, l’argumentaire était que chacun devait «faire sa juste part», que l’État ne pouvait plus maintenir son financement des études supérieures. Les choses devaient changer. Du côté étudiant, on évoquait l’accès à l’université prôné par le rapport Parent.