Michel Duguay n’a pas toujours été opposé à l’énergie nucléaire. «Lorsque j’avais 20 ans, j’étais convaincu, comme beaucoup de gens à cette époque, que le nucléaire était une source d’énergie inépuisable, l’énergie de l’avenir.» Après un baccalauréat en physique, il se spécialise d’ailleurs en physique nucléaire et travaille sur des composés radioactifs. «La radioactivité est un phénomène extraordinaire. Sa découverte a été un événement marquant dans l’évolution des connaissances sur la structure de l’atome.» Entre 1974 et 1977, alors qu’il mène des recherches dans l’un des trois grands laboratoires atomiques des États-Unis, le Sandia National Laboratories, à Albuquerque au Nouveau-Mexique, il fait la connaissance de chercheurs qui l’initient aux mérites de l’énergie solaire. Et la lumière fut. «C’est à ce moment-là que j’ai compris tout le potentiel du solaire et tous les avantages qu’il possède sur le nucléaire.»
Son enthousiasme pour les énergies alternatives durables ne s’est pas démenti depuis. Embauché par l’Université Laval en 1988, ce chercheur a multiplié les projets en lien avec l’énergie solaire. En 2004, lorsqu’il apprend par l’entremise d’un article de journal qu’Hydro-Québec envisage de procéder à la réfection de Gentilly-2, il est consterné. «Le Québec a adopté un moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires en 1978. J’étais persuadé que lorsque la durée de vie utile de la centrale Gentilly-2 serait atteinte, on allait la démanteler et que ça mettrait un terme à la filière nucléaire au Québec.» Un de ses étudiants, Francis Pronovost, le met en contact avec un groupe de citoyens, le Mouvement Vert Mauricie, également préoccupé par la réfection de la centrale. Depuis, il agit comme conseiller scientifique auprès de ce groupe et il défend ses positions sur la place publique chaque fois que l’occasion se présente.
Deux failles
Michel Duguay estime que le projet de Gentilly-2 pèche sur deux fronts. Le premier touche la sécurité. La technologie utilisée dans les réacteurs Candu est désuète et les mesures de sécurité qui se déploieraient en cas d’accident ne correspondent plus aux normes actuelles. Par ailleurs, avant même d’avoir trouvé une solution à l’entreposage sécuritaire et durable des 2 500 tonnes de déchets radioactifs présentement stockés sur le site de la centrale, on se prépare à en produire autant.
L’autre faille touche la rentabilité économique du projet. Selon ses calculs, qui tiennent compte du démantèlement et de l’entreposage à long terme des déchets radioactifs, le kilowattheure produit à la centrale coûtera au moins 19 cents (Hydro-Québec avance plutôt le chiffre de 7,2 cents), soit deux fois plus que les plus récents projets d’énergie éolienne. Les nouvelles normes de sécurité adoptées en juin par la Commission canadienne de sûreté nucléaire feront en sorte que la réfection de la centrale coûtera encore plus que le 1,9 milliard de dollars prévus par Hydro-Québec, croit-il. Et tout cela, sans compter les dépassements de coûts inhérents à ce genre de projet; la construction de Gentilly-2 a elle-même coûté quatre fois plus cher que prévu et les coûts projetés pour la réfection ont doublé en quatre ans. «Je ne peux pas croire qu’Hydro-Québec va produire de l’électricité à perte pour maintenir des emplois à Bécancour et que les Québécois vont accepter cette situation sans dire un mot», laisse-t-il tomber.
Selon un sondage Angus Reid effectué en juin 2008, 62 % des Québécois s’opposent à de nouveaux investissements dans le nucléaire, signale le physicien. «La décision d’aller de l’avant avec la réfection de Gentilly 2 a été prise en catimini et elle a été annoncée comme un fait accompli le 19 août par la direction d’Hydro-Québec, déplore-t-il. Nous avons demandé que le projet soit étudié en commission parlementaire, mais le gouvernement a refusé. Comment la décision de procéder à la réfection de Gentilly-2, qui va à l’encontre de la volonté de la majorité de la population et à l’encontre de la politique de développement durable adoptée par le Québec, peut-elle être prise sans consultation auprès de la population? Comment la majorité peut-elle faire valoir son point de vue dans ce dossier? La démocratie est bafouée.»
Malgré tout, Michel Duguay demeure optimiste quant à l’issue de l’affaire. Les nouvelles normes de la Commission canadienne de sûreté nucléaire hausseront les coûts à un point tel que le projet sera encore moins sensé au plan économique, prévoit-il. «Les sommes prévues pour la réfection de Gentilly-2 pourront alors être investies dans la création d’un laboratoire de gestion des déchets radioactifs et de surveillance environnementale de la radioactivité qui non seulement maintiendrait des emplois dans cette région, mais permettrait le développement d’une expertise exportable.»