À compter du 7 décembre prochain, toutes les sociétés d’État du Québec devront compter, au sein de leur conseil d’administration (CA), au moins un membre âgé de 35 ans ou moins au moment de sa nomination. Mais qui sont ces jeunes qui siègent aux CA des divers types d’entreprises au Québec et combien sont-ils actuellement? Quels sont les obstacles et les facteurs qui facilitent l’accès, le maintien et la participation des jeunes au sein des CA?
Les réponses à ces questions se trouvent dans une étude récente réalisée par trois professeurs et une doctorante de la Faculté des sciences de l’administration (FSA ULaval), soit Jean Bédard et Louis-Philippe Sirois de l’École de comptabilité et Luc K. Audebrand et Myriam Michaud du Département de management. Le Secrétariat à la jeunesse du Québec a assuré le financement de cette recherche de 49 pages intitulée La présence des jeunes aux conseils d’administration des entreprises québécoises. Le dévoilement des résultats a eu lieu le 7 juin sous la forme d’une présentation Web.
«Deux principales raisons nous ont amenés à réaliser cette étude, explique le professeur Bédard. Dans un premier temps, on note qu’il y a peu de jeunes aux CA des sociétés cotées à la Bourse aux États-Unis. Cela soulève un enjeu pour la relève dans les CA des organisations, d’autant plus dans un contexte de vieillissement de la population. Deuxièmement, on parle de plus en plus de diversité au sein des CA, de diversité de genre, et plus récemment, de communautés sous-représentées telles que les minorités visibles. Mais rarement, on parle de diversité d’âge.»
Rappelons que les membres des conseils d’administration des sociétés québécoises cotées à la Bourse avaient un âge moyen de 60,8 ans en 2018. Trois ans auparavant, au moins une personne de moins de 35 ans se retrouvait dans moins de 10% des conseils des sociétés cotées à la Bourse et des sociétés d’État.
Trois professeurs de FSA ULaval ainsi qu’une doctorante ont mené cette étude. Selon Jean Bédard, une telle équipe était nécessaire en raison de l’aspect multidisciplinaire de la gouvernance. «La gouvernance, dit-il, touche, entre autres, le management, la comptabilité, la finance et le droit. Comme cette étude portait sur divers types d’entreprises, dont les organisations à but non lucratif (OBNL), il était important d’avoir des gens qui connaissaient bien ces types d’entreprises. De plus, cette étude utilise une approche mixte: quantitative et qualitative. D’où le besoin d’avoir une équipe avec ces diverses compétences.»
Selon lui, le Québec se distingue à l’échelle nord-américaine en ce qui concerne la présence de jeunes de 35 ans ou moins au conseil d’administration de ses sociétés d’État. Cette distinction se remarque aussi en ce qui concerne la présence de femmes à ces conseils.
«La société québécoise est avant-gardiste dans ses sociétés d’État, souligne-t-il. Toutefois, pour les sociétés privées, elle l’est moins. Par exemple, aux États-Unis, la Californie impose des quotas de membres du conseil provenant de communautés sous-représentées aux sociétés cotées ayant leur siège social dans cet État.»
La notion de «jeune»
La première partie de l’étude réalisée à FSA ULaval porte sur la notion de «jeune». La deuxième partie aborde les arguments en faveur de l’inclusion des jeunes aux conseils d’administration. «La notion de “jeune” est mouvante et floue, indique le professeur Bédard. Il n’y a pas de consensus.»
Rappelons que dans la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, les jeunes sont définis comme étant les personnes âgées de 18 à 35 ans. Pour le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec, la fourchette d’âge d’un jeune administrateur ou ou d’une jeune administratrice se situe entre 18 et 40 ans. Dans le cas de sociétés cotée à la Bourse, PricewaterhouseCoopers les définit comme étant âgés de 50 ans ou moins.
L’inclusion de jeunes à des conseils d’administration s’appuierait sur trois principaux arguments: l’équité entre générations, la diversité d’âge, qui amènerait une meilleure gouvernance et une plus grande performance, et la préparation de la relève. Sur ce dernier point, l’étude souligne que d’ici 10 ans la plupart des membres des CA des sociétés québécoises cotées à la Bourse de Toronto entre 2015 et 2018 auront pris leur retraite. Cela, écrivent les chercheurs, «engendrera une perte considérable d’expérience et de connaissances. Dans ce contexte, il est important de préparer la relève et d’assurer le transfert des connaissances».
En 2015, on retrouvait au Québec 15 660 organismes de bienfaisance, 173 sociétés cotées à la Bourse et 22 sociétés d’État. Au total, ces trois catégories d’entreprises comptaient respectivement 111 950, 1 417 et 258 personnes dans leurs conseils. En 2015, le quart des membres des conseils d’organismes de bienfaisance pour lesquels l’âge est communiqué avaient moins de 46 ans.
Les OBNL sont présentées comme une école, une porte d’entrée éventuelle aux CA de sociétés d’État et d’entreprises cotées en Bourse. Comment y fait-on ses classes?
«On y apprend le rôle du CA, à développer ses habiletés politiques, la façon de faire valoir son point de vue et de contribuer à l’organisation, répond Jean Bédard. Dans toutes ces organisations, le jeune n’est pas seul, il est avec les autres membres du conseil. Donc, le risque d’erreur est faible.»
Un échantillon de 58 personnes
Les chercheurs de FSA ULaval ont mené des entrevues auprès de 58 personnes: 7 experts en gouvernance, 22 administrateurs d’expérience et 29 administrateurs de la relève issus de quatre types d’entreprises, soit la société d’État, la société cotée, la coopérative et l’OBNL. Ils ont également mené deux groupes de discussion avec 20 jeunes administratrices et administrateurs qui cherchent à accéder à un conseil d’administration.
Les répondants attribuent aux jeunes différentes qualités favorables au développement de l’organisation: expertise de pointe, éducation récente et de qualité, dynamisme, engagement et créativité, désir d’apprendre, intérêts variés, spontanéité, capacité à prendre des risques, adaptabilité au changement, naïveté, optimisme et énergie. On attend d’eux un «regard neuf» et une capacité d’innover, d’apporter le changement, de poser des questions inédites.
Les participants insistent sur l’importance de la diversité des expériences, des profils, des expertises et des modèles mentaux. Ils perçoivent un risque à l’homogénéité. Cela dit, on considère que la mobilité, le désir de voyager, et même la multiplicité d’intérêts des jeunes représentent un frein à leur engagement. On considère également que les exigences liées au rythme scolaire, à la carrière et à la parentalité peuvent représenter un obstacle à leur désir de s’engager et comme un risque pour l’organisation.
«Être membre d’un CA exige beaucoup de temps, soutient le professeur Bédard. En plus du temps consacré aux réunions du CA, il y a celui voué aux comités ainsi qu’à la préparation des dossiers. Pour les sociétés cotées, on estime qu’en moyenne, c’est 231 heures annuellement. Pour certains jeunes, en début de carrière et ayant une jeune famille, il peut être difficile de libérer du temps. Toutefois, le manque de disponibilité est un problème que l’on retrouve aussi chez les administrateurs plus âgés, sauf pour les retraités. Pour ce qui est de l’expérience, on retrouvait ce même obstacle pour les femmes: elles n’avaient pas d’expérience de PDG. Il faut que les CA déterminent la nature des compétences dont ils ont besoin au conseil et choisissent les candidats possédant ces compétences. Si on ne regarde que l’expérience et un certain type d’expérience, les jeunes seront défavorisés.»
L’étude comprend 12 recommandations. Trois sont particulièrement importantes. La première consiste à mettre en œuvre une campagne de communication d’envergure s’adressant d’une part aux jeunes et d’autre part aux organisations. «La campagne s’adressant aux jeunes doit viser à démystifier le rôle et la place des conseils d’administration et à expliquer la manière dont les jeunes peuvent y contribuer, explique-t-il. La campagne s’adressant aux organisations doit valoriser l’apport des jeunes et fournir des outils aux organisations pour les intégrer.»
Selon lui, il est important de changer les perceptions des jeunes par rapport aux CA et celles des organisations relativement aux jeunes. «Sans ce changement, dit-il, il sera difficile d’attirer les jeunes aux CA et pour les organisations de choisir un jeune et de l’intégrer. Par la suite, il faut former les jeunes et mettre en place des stratégies et mesures pour faciliter leur accès aux CA ainsi que pour les intégrer. Pour ce dernier point, le mentorat par un autre membre du conseil est un élément facilitateur.»